Un récit sur l'histoire de notre paroisse, à l'occasion du centenaire du Temple en 1990. 

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        Le récit débute avec l'histoire du XVIe au XIXe par M. Brissaud, ancien pasteur de la paroisse. 

      La Bible sculptée sur la façade de ce temple rappelle le message de la Réformation : l'Ecriture sainte annonce le Salut par la seule grâce, le seul amour gratuit de Dieu envers l'homme ; salut que l'homme reçoit par la seule foi, la confiance qu'il fait à cette bonne parole, et qui le mobilise pour des œuvres bonnes, fruit de sa reconnaissance. 

      Ce message avait été proclamé au XVIe dans notre région. En 1560, des gens de Mas Cabardès, de Montolieu, Saissac, Fontiers, Caudebonde, Lastours, Conques, Villegailhenc et Limoux étaient allés l'entendre à Mazamet, et en 1561, des Eglises Réformées étaient « dressées » à Carcassonne, Limoux, Castelnaudary malgré l'opposition du peuple et des autorités civiles et religieuses. En faisaient partie des marchands, des magistrats, des artisans. Les communautés de Limoux et Castelnaudary disparurent (siège de Limoux) assez vite. Celle de Carcassonne se maintient tant bien que mal tout au long des guerres de religions et sa présence est attestée au début du XVIIe siècle. Des membres d'une famille connue de drapiers et des magistrats, les D'Oliviers, en font partie, dont des descendants, réfugiés au Pays-Bas comme pasteurs à la révocation feront souche à Amsterdam. Mais dans cette période de renouveau et de ferveur de l'Eglise catholique une communauté protestante isolée soumise à des pressions sociales, économiques, religieuses avait peu de chances de subsister. Elle avait disparu en tant que telle avant la Révocation de l'Edit de Nantes. De même qu'une petite communauté réformée qui s'était formée en 1573 en Mas Saintes Puelles. 

      Cependant dans la 2e moitié du XVIIIe siècle, des familles de « nouveaux catholiques », c'est-à-dire des Protestants, de Mazamet vont s'installer dans la Montagne Noire et ses abords. Et l'évolution économique amènera en terre d'Aude des familles protestantes de régions voisines et de l'étranger. 

      Mais les ravages des guerres de religions, dont tout le pays avait eu à souffrir, et causés plus souvent par des bandes d'aventuriers que par des huguenots fanatiques, avaient laissés de mauvais souvenirs attachés au nom de « Protestants ». Dans les cahiers de doléances de 1739, vingt-deux villages du Cabardès, du Minervois et des Corbières demandent au Roi : « d'assurer à la seule religion catholique et romaine le libre exercice de son culte public, en accordant néanmoins à ses sujets non catholiques l'état civil et les prérogatives des citoyens français. » Carcassonne ville basse demande : « d'assurer à la seule religion catholique apostolique et romaine à l'exclusion de tout autre le culte public. » Et le clergé de la sénéchaussée de Carcassonne demande « que la religion catholique apostolique et romaine qui est le plus ferme appui du Trône soit la seule religion de l'Etat, que tout autre soit prohibée » et exprime sa désapprobation de l'édit de tolérance de 1787 qui donnait l'état civil aux non catholiques. 

Voici donc, chers frères,

le texte auquel j'ai ajouté, chemin faisant,

- la destruction de la cathédrale d'Alet par les Protestants et le massacre de ceux-ci quelques années plus tard. (Alet fut quelque temps place de sûreté huguenote) ;

- le fait qu'il n'y eut pas de « St Barthélemy » à Carcassonne, des Catholiques alertèrent même les Protestants par précaution contre des violences possibles ;

- le fait que les Protestants étaient tantôt chassés de la ville, tantôt présents ;

- et les quelques mots de conclusion souhaitant de grâces pour le fait que Protestants et catholiques peuvent ensemble prier et écouter la parole de Dieu. 

Fidèlement

Frédéric Brissaud 

Le récit était ensuite continué par Mme. Claudine Rives-Monod 

      M. Brissaud vient de nous exposer les origines de l'Eglise Reformée de Carcassonne. Les premières archives de la paroisse remontent à avril 1842 au moment où se crée une communauté protestante dans l'Aude, rattachée aux Eglises Reformées de France, sous l'impulsion de la « Société d'Évangélisation des Protestants disséminés », ayant son siège à Nîmes, et de son agent, un jeune pasteur résidant à Perpignan, le pasteur Calas. 

      Cette communauté nomme un conseil d'administration de cinq membres parmi lesquels :

M. Lauth (brasseur à Carcassonne, la famille Lauth venu d'Alsace s'est installée à Carcassonne en 1810) et M. de Juge (officier de l'armée, qui a fait don à la paroisse des coupes de la Ste Cène). 

      Ce conseil se met en rapport avec les pasteurs de Toulouse, Castres, Mazamet, Sorèze et Revel, leur demandant de venir prêcher à Carcassonne. 

      Le 12 juin 1842 un lieu de culte est inauguré (dans une salle de la brasserie Lauth, mise à disposition gratuitement par M. Lauth) en présence d'une centaine de Protestants du département, et d'un pareil nombre de Catholiques, attirés par cette solennité. 

      Mais il faut s'organiser. Le 29 juillet 1843, à la demande de Carcassonne, le consistoire de Mazamet écrit au Ministre de la Justice et des Cultes, alors responsable de ces décisions, pour lui demander le rattachement de Carcassonne au consistoire de Mazamet et la création d'un poste de pasteur. 

Voici quelques extraits de cette lettre adressée au Ministre :

[Document (extrait du registre du consistoire de Mazamet)]

      Le 25 août 1843 le Ministre informe M. Dardier qu'il a transmis la demande au Préfet de l'Aude pour enquête supplémentaire. Le pasteur Dardier exhorte les Protestants de l'Aude à se mobiliser pour convaincre les maires des communes de soutenir leur demande.

[Extraits du document (lettre du 30 Août 1843)]

      Mais cette demande n'aboutit pas. La paroisse de Carcassonne va cependant continuer à vivre sans pasteur titulaire. Le culte est assuré un dimanche sur deux par les pasteurs de Mazamet suivant un programme prévu à l'avance et adressé à toutes les familles protestantes. Il est demandé avec force aux Protestants de venir nombreux au culte et une souscription particulière est ouverte pour défrayer les pasteurs pour leur déplacement.

[Extrait du document (lettre du Janvier 1843)]

      En 1863 le conseil d'administration de la paroisse adresse une demande au maire de Carcassonne pour demander le rattachement de Carcassonne au Consistoire de Toulouse. Les pasteurs de Mazamet se déplaçaient en voiture à cheval, or « le passage de la montagne est souvent difficile en hiver et quelquefois impossible », le chemin de fer du Midi, construit depuis peu assure maintenant des relations plus faciles avec Toulouse. (Le conseil d'administration continue à adresser au Préfet de l'Aude et au Ministre de la Justice et des Cultes une demande de création de poste pastoral.

N'oublions pas que depuis le premier Empire, nous sommes sous le régime du Concordat, que prêtres et pasteurs sont nommés et pris en charge par l'Etat. 

Le décret du 15 juin 1867 signé par Napoléon III accorde le rattachement de la paroisse de Carcassonne au Consistoire de Toulouse.

[Document (décret du 15 Juin 1867)]

      Les pasteurs de Toulouse vont assurer les cultes à Carcassonne jusqu'en 1875. Mais la population protestante ne cesse de croître : 250 paroissiens recensés en 1874 ; accroissement de la population de Carcassonne avec l'exode rural, - militaires plus nombreux - et crise du phylloxera : « des familles entières, dont les intérêts se rattachent au commerce des vins ont quitté, pour venir se fixer à Carcassonne, des contrées absolument ruinées par la maladie de la vigne et dans lesquelles une portion considérable de la population appartient à la religion reformée : l'Hérault, le Gard ». 

      L'activité de la brasserie Lauth ne cesse de grandir. M. Lauth informe le conseil d'administration qu'il doit récupérer la salle mise à disposition pour les cultes, il faut donc trouver une autre salle. Une demande adressée au Préfet, reste sans réponse. Le conseil d'administration va donc louer une salle en ville : 2, Rue du Pont chez M. Salaché en 1874.

[Extraits du document (bail du 20 mars 1875)]

      M. Salaché est voiturier : pour gagner l'escalier qui monte au deuxième étage, il faut se faufiler entre les nombreuses voitures qui encombrent le rez-de-chaussée de la Rue du Pont. 

      1875 : Enfin ! La Société pour l'Évangélisation des Protestants disséminés envoie un pasteur à Carcassonne sur un poste d'évangélisation et non un poste pastoral. Ce n'est qu'en 1878, le 17 juillet 1878, que le Maréchal Mac Mahon, alors Président de la République, signera le décret de la création d'un poste pastoral et la nomination du pasteur Adolphe Monod (déjà en place sur le poste d'évangélisation depuis 1875) comme pasteur de Carcassonne. 

      Il aura fallu 36 ans de démarches acharnées pour que la communauté protestante obtienne enfin satisfaction, malgré ces difficultés, elle a continué à vivre.

[Extrait du document (décret du 17 Juillet 1878)

 Extrait du document (décret du 2 Décembre 1878)]

      Après cette reconnaissance officielle, le pasteur Monod et la paroisse se lance dans une nouvelle bataille : être mieux connu et reconnu dans la ville de Carcassonne et dans le département.  Pour cela, il faut un lieu de culte officiel, reconnu : il faut construire un temple. 

      Pour bien comprendre les difficultés que vont rencontrer les Protestants pour la construction de leur temple, il faut se replacer dans l'atmosphère de l'époque et en particulier de Carcassonne. Nous sommes dans la IIIe République et les dissensions sont vives entre les conservateurs, restés le plus souvent monarchistes et représentés par l'église catholique, et les républicains souvent des anticléricaux. Les Protestants sont en majorité républicains, puisque la révolution et la république leur ont accordé la liberté de culte et les ont reconnus citoyen à part entière. Mais ils ne sont qu'une petite minorité dans un département catholique, où ils sont disséminés et mal connu. Le souci du pasteur Monod et de la communauté est donc de construire un temple à Carcassonne sans pour autant heurter l'église catholique. 

      En 1883, les Protestants veulent acheter au centre ville, Place Carnot (Place aux Herbes), un immeuble qui pourrait être aisément transformé en temple, celui occupé actuellement par la Société Gle. Le vendeur refuse : il est menacé d'excommunication par l'évêque s'il vend son immeuble aux Protestants. 

      En 1885, échaudé par ce premier échec, la communauté confie à l'architecte M. Desmanet le soin d'acheter un terrain : Rue de la Prade, 330 m² à 14 francs le m². Le sous-seing privé est signé avec M. Labat, notaire représentant M. Guillaumat, le propriétaire.

M. Desmanet établit un plan de construction, le devis s'élève à  38.000 francs. C'est trop cher, alors on supprime les tribunes, le devis s'amène à 34.000 francs. Le Ministre des Cultes refuse le projet. Il est trop cher et la communauté de Carcassonne n'est pas en mesure de le financer. De plus, M. Guillaumat avait mis une condition à la vente : « Les acquéreurs s'engagent à ne vendre, ni louer à des filles publiques ou entretenues. Cet engagement est pris pour les successeurs à perpétuité. » Au moment de signer l'acte de vente M. Guillaumat refuse. Il a appris entre temps qu'il s'agisse de construire un temple sur son terrain.

[Extrait du document (lettre du 12 Mai 1885)]

      1888 : M. Valent, négociant en vin accepte enfin de vendre un terrain situé au carrefour de la rue des Jardins et de la rue du Palais : 191 m² à 45 francs le m². Un nouvel architecte, M Cassaing, est chargé de faire les plans et d'établir le devis. Le plan de ce temple porte très fortement l'influence du pasteur Adolphe Monod. Très rapidement, je voudrais retracer sa vie pour vous permettre de mieux comprendre pourquoi ce temple n'est pas tout à fait semblable au temple protestant traditionnel. 

      Fils du pasteur Horace Monod de Marseille (dix enfants dont quatre furent pasteurs) Adolphe fit ses études de théologie à la faculté de Montauban. Au cours d'un chahut d'étudiant, il fit tomber un buste de Napoléon III qui ornait les salles de classe de la Faculté. Le nez de l'empereur s'est cassé. Pour cacher sa maladresse, il cache le buste dans un placard, la face contre le mur. Très vite découvert, il fut chassé de la Faculté et condamné à s'exiler. Il alla alors poursuivre ses études en Angleterre, puis aux Etats-Unis. Rentré en France en 1870 avec la chute de l'Empire, il ne peut faire reconnaître son titre de licencié en Théologie et devient directeur d'une maison de retraite à Anduze. Il épousa Amélie Rives de Mazamet et en 1875 obtient, grâce à son père et ses frères pasteurs qui avaient intercédé en sa faveur, un poste d'évangélisation à Carcassonne. En 1878, on lui reconnaît enfin le titre de pasteur. Il va mettre toute sa volonté, son énergie sa foi à la construction de ce temple et pour cela il faut trouver l'argent nécessaire :

prix du terrain                 :        9.300 francs
prix de la construction   :      29.623 francs

                                               38.923 francs

une souscription auprès des paroissiens et des paroisses voisines     :    14.000 fr.
subvention de la ville                                                                                     :      7.500 fr.
Ministre des Cultes                                                                                       :      2.000 fr.

      On est loin du compte, il faut trouver le reste. Alors Adolphe Monod prend son bâton de pèlerin et va faire le tour des paroisses de France, mais aussi de Suisse, d'Angleterre, des Etats-Unis pour parvenir à réunir l'argent nécessaire. 

      C'est pourquoi ce temple, pour répondre au souci d'Adolphe Monod, ressemble à une église anglicane (ce sont les églises anglaises et américaines qui l'ont en partie financé) et à une église catholique, pour ne pas choquer la population catholique de Carcassonne par une construction d'un temple trop protestant. 

Nous avons dans les archives le détail des factures.

[Document (Liste des factures du 8 Octobre 1891)]

      Construit en deux ans, le temple est inauguré le 6 novembre 1890 en présence de nombreux pasteurs, le sermon est prononcé par le pasteur Edouard Monod de Mazamet, frère d'Adolphe. 

      Nous avons retrouvé une lettre écrite au lendemain de l'inauguration, il nous a paru intéressant de vous la lire :

[Document (lettre de l’architecte)]

      Pour l'occasion Edouard Monod a composé ce cantique que nous écoutons, chanté par la chorale : Cant. « Toi dont les cieux sont le vrai sanctuaire » 

Voici la fin du récit de Mme Claudine Rives-Monod. 

Il y a un autre récit de M. Brissaud, qui nous ramène jusqu'aux années 60. 

      A la séparation des Eglises et de l'Etat, la communauté entre dans l'union des Eglises Réformées Evangéliques, et en 1933 dans l'Eglise Réformée de France, VIIe Région. En 1952, avec Béziers, Narbonne, Perpignan et Collioure, elle forme, dans la VIIe, le Consistoire du Bas-Languedoc-Roussillon, mais reste dans la VIIe quand les quatre autres se rattachent à la VIIIe Région en 1962. 

      La paroisse doit compter alors quelque 450 personnes, (230 feux) dont la moitié s'échelonnent le long de la vallée de l'Aude jusqu'aux Pyrénées et dans les Corbières, sur les terres du Lauraguais, dans les vallées de la Montagne Noire et dans le Minervois jusqu'à Lézignan et Olonzac exclusivement, soit sur environ 100 km N-S et 60 km E-O. Par le jeu des mariages, des foyers de souche audoise se sont formés, de milieu modeste au départ, mais la population paroissiale se renouvelle sans cesse par arrivées et départs. En 196? , Castelnaudary et l'Ouest de son arrondissement, où de nouvelles familles se sont installées, sont rattachées à l'Eglise, plus proche, de Revel. 

      L'acquisition d'un presbytère avec dépendances en 1952 a permis le développement de la vie communautaire (catéchèse, scoutisme E.U. et F.F.E.U. et N., club de jeunes qui ont plus tard d'autres locaux dépendant d'une association 1901). Un temps, collaboration avec les Pentecôtistes (2 missions Th. Roberts). Et dans ce pays où, en dehors de Carcassonne, les Protestants étaient peu connus et parfois ne se faisaient pas connaître pour éviter des difficultés dans leur entourage, des contacts et activités œcuméniques se sont développés dans les années 60.


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