Reconnaissance

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Jean Pierre qui a quitté l'aumônerie de prison en décembre 2015 a laissé ce texte en attendant la nomination d'un remplaçant : 

J’ai le cœur plein de reconnaissance pour ce ministère que je viens d’abandonner après tant d’années et qui me manque déjà cruellement. Cette reconnaissance, personne ne peut l’imaginer, s’agissant de ce lieu qui alimente tous les fantasmes et toutes les peurs : la prison.

Pourtant c’est bien là que j’ai rencontré, au fil des ans, l’humanité, la fraternité et c’est là, somme toute, que j’ai enraciné ma foi.

Tout avait commencé par des lettres envoyées à un détenu, puis par des visites au parloir. Celles-ci m’ont montré combien les familles sont elles aussi punies voire humiliées  et je ne peux oublier ces sous-sols que nous traversions à Fresnes. Le statut de visiteur a suivi, me faisant découvrir cet univers à nul autre pareil, mais où l’on rencontre des êtres qui parce qu’ils n’ont plus rien, n’ont plus de rôles à jouer, et pour cela sont vrais et fragiles et qu’une simple visite rend si heureux !

J’y ai rencontré toutes sortes de gens, semblables à nous, avec leurs défauts, leurs blessures, leurs culpabilités et leurs peurs. On m’a reproché, parfois, d’oublier les victimes. Elles étaient pourtant en nos pensées lors de nos rencontres parce que ma présence, banale, lorsque je suis devenu aumônier, devait être signe de l’amour de Dieu. Nous échangions quelques paroles, buvions un café et parlions parfois théologie, comme cela, mine de rien.

J’y ai vécu des cultes vivants, loin des liturgies de nos temples, mais où les échanges étaient vrais et où les fleurs que j’apportais avaient un parfum à nul autre pareil. Nous avons chanté, et le chant dans ces murs avait un son particulier..

Et puis il y eut des évènements, douloureux, tels des suicides à la sortie, ou magnifiques comme ce repas en Espagne pris avec un ex-détenu et toute sa famille chez un policier !!

Près de trente années à côtoyer cette humanité qui fait peur et qui pourtant m’a fait approfondir ma foi. Chaque rencontre était pour moi comme un moment passé dans l’antichambre du  Royaume, là où toute peine est abolie et toute faute pardonnée. J’en ressortais bizarrement heureux.  J’avais trouvé là-bas l’illustration d’une modeste obéissance à la parole «  J’étais en prison et vous m’avez visité » de Matthieu 25. Ainsi me suis-je trouvé en plein accord avec cette phrase de M. Zundel :

 "Il ne s'agit pas d'aimer Dieu dans l'abstrait, d'aimer un dieu qu'on s'imagine, que l'on façonne à son image ! Il s'agit d'aimer l'homme, l'homme avec ses limites, l'homme avec son animalité, l'homme avec tout ce qui en lui nous rebute et nous répugne car c'est justement en dépassant tout cela qu'on atteindra au vrai Dieu. Le Nouveau Testament, le testament éternel, c'est d'aimer l'homme pour être sûr de ne pas manquer Dieu."

Merci Seigneur de m’avoir appris à te rencontrer là où nul ne penserait le faire. Merci pour ces années d’un service qui m’a rapproché de Toi et par lequel j’ai tenté d’être pour eux un  modeste signe de ton Amour.

Jean-Pierre Pairou

(Carcassonne, janvier 2016)