ASCENSION

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L’Ascension, d’après une plaque d’ivoire des environs de l’an 400

Commentaire iconographique d’André BONNERY

Cette plaque sculptée dans l’ivoire, conservée au Bayerisches Nationalmuseum, à Munich, est datée des environs de l’an 400. Elle était probablement destinée à orner la couverture d’un codex, peut-être un évangéliaire. Elle offre la représentation rare de l’Ascension du Christ au matin de Pâques.

 

 

 

 

 

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Que disent les textes ?

*Le récit le plus complet de l’Ascension est fourni par les Actes des Apôtres. Ils sont les seuls à parler d’une période de 40 jours durant laquelle le ressuscité apparait à ses disciples à diverses reprises et les entretient du Règne de Dieu (1, 1-3). Au cours d’une dernière rencontre, il leur annonce la venue de l’Esprit et les mandate pour être  « ses témoins à Jérusalem, en Judée, en Samarie et jusqu’aux extrémités de la terre » (1, 7) « À ces mots, sous leurs yeux, il s’éleva et une nuée vint le soustraire à leurs yeux. Comme ils fixaient encore le ciel où Jésus s’en allait, voici que deux hommes en vêtements blancs se trouvèrent à leur côté et ils leur dirent : « Gens de Galilée, pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? Ce Jésus qui vous a été enlevé pour le ciel reviendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel » (1, 9-11). C’est alors que l’on apprend où eut lieu cette scène : « Quittant la colline appelée mont des Oliviers, ils regagnèrent Jérusalem ». (1, 12)

*Matthieu ne parle pas de l’Ascension mais il la suggère. On est après Pâques, en un temps non déterminé : « Les Onze se rendirent en Galilée, à la montagne où il leur avait ordonné de se rendre. Quand ils le virent ils se prosternèrent ». (28, 16) Jésus leur fait des recommandations sur leur mission d’évangélisateurs et le récit se termine par ces mots : « et moi je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin des temps » (28, 20). On suppose qu’à partir de ce moment, il fut enlevé auprès de Dieu.

*Marc, dans son Évangile, ne parle ni de temps ni du lieu mais il dit qu’après avoir apparu  à diverses reprises, alors qu’il était à table avec les Onze, il les envoie en mission puis : « Le Seigneur Jésus, après leur avoir parlé, fut enlevé au ciel et s’assit à la droite de Dieu » (16, 19)

*Luc, qui est aussi l’auteur des Actes, reste vague sur la localisation : « il les amena jusque vers Béthanie » (24, 50) mais  il ne dit  pas combien de temps après Pâques. Dans son Évangile, la description de l’Ascension est plus sobre que dans les Actes : « Or, comme il les bénissait, il se sépara d’eux et fut emporté au ciel. » (36, 50).

*Jean qui a visiblement inspiré le sculpteur de cette plaque évoque une Ascension très discrète, sans témoins, qu’il situe le matin de Pâques. Jésus vient d’apparaitre à Marie de Magdala qui l’a reconnu après l’avoir pris pour le gardien du jardin et il lui dit : « Ne me retiens pas car je ne suis pas encore monté vers mon Père. Pour toi, va trouver mes frères et dis leur que je monte vers mon Père qui est votre Père, vers mon Dieu qui est votre Dieu » (20, 17). Cette annonce n’empêche pas Jésus de revenir, le soir même, pour voir ses disciples enfermés dans la maison par crainte des Juifs (20,19). Jean nous fait comprendre ici que le temps du Ressuscité n’est plus celui des hommes. Il apparait quand il veut dans le temps des hommes, mais avec la Résurrection, il est entré définitivement dans le temps et le monde de Dieu. C’est pourquoi on ne peut distinguer Pâques du retour vers le Père. Ressuscité par la puissance de Dieu (Ac ; 2, 24), il retourne à Dieu. C’est le sens de l’avertissement donné à Marie de Magdala : Inutile de le chercher physiquement, il n’est plus là.

 

Description de l’image

Sur la partie gauche est représenté un édicule en pierre, de facture très soignée, composé d’un socle cubique comportant sur sa face antérieure une porte en bois à panneaux moulurés. Au-dessus s’élève une tourelle avec une arcature qui l’entoure, surmontée par un dôme. Les deux parties du monument sont ornées de niches ou de médaillons enfermant des statues ou des bustes. Ce type d’architecture évoquant les mausolées impériaux, se retrouve sur une série d’ivoires des Ve et VIe siècles. Il est identifié comme l’une des représentations de la tombe de Jésus aménagée à l’époque de Constantin, sur le Golgotha, à partir de 325. Cette tombe était enfermée dans l’église ronde de l’Anastasis ou de la Résurrection. Ici, de manière anachronique, le monument est sensé représenter le tombeau de Jésus, peu après qu’il y fut déposé, dans un jardin évoqué par un olivier sur lequel des colombes picorent des olives.

Devant le tombeau est assis un jeune-homme s’adressant à trois femmes qui s’avancent. Il s’agit de la visitation sepulcri au matin de Pâques. On observe deux détails inhabituels dans ce type de figuration : les femmes ne portent pas les aromates et les parfums ; la porte du tombeau est fermée. On note également deux soldats : l’un d’eux, endormi, est accoudé sur la partie inférieure du monument, l’autre tient encore sa lance mais doit être assoupi selon l’indication de l’Evangile (Mt. 28, 13).

Dans le quart supérieur droit de l’image figure une autre scène, visiblement en lien avec la première. Un personnage jeune, imberbe s’éloigne du tombeau et gravit une montagne, soutenu par une main, symbole de la puissance en action, sortie des nuées du ciel, qui l’attire à lui. Il s’agit du Christ, ressuscité par la puissance de l’intervention divine.  Il rejoint son Père rendu invisible par la nuée qui le cache aux yeux des deux hommes installés sur le flanc de la montagne. L’un d’eux, terrorisé par la manifestation divine se cache la face tandis que l’autre, les mains ouvertes devant lui contemple le prodige en train de s’accomplir. Si le sculpteur a évoqué subtilement le thème lucanien de  l’Ascension sur une montagne, il n’a pas retenu l’image d’une élévation en présence des disciples, avec apparition d’anges, selon la description des Actes des Apôtres (1, 9-11) qui avait essentiellement valeur pédagogique : le temps des apparitions postpascales est terminé.

 

Interprétation

L’artiste qui a sculpté cette plaque a voulu montrer, conformément au court récit de Jean, qu’on ne peut distinguer la Résurrection de l’Ascension. D’ailleurs, durant les quatre premiers siècles, il n’y a pas de fête propre de l’Ascension. Alors que l’on distingue dans le Nouveau Testament une commémoration de Pâques à date fixe, le premier jour de la semaine, il faudra attendre  la fin du IVe siècle pour voir apparaître en quelques lieux une fête de l’Ascension. Il semble même que, parfois  jusqu’au Ve siècle, Pentecôte et l’Ascension sont célébrées ensemble. Ce qui nous laisse entendre que l’ivoire sculpté est antérieur à la réception universelle par les Églises, d’une fête propre de l’Ascension. D’où le caractère exceptionnel, si ce n’est unique, de cette figuration.

On retrouve dans l’image sculptée un certain nombre de stéréotypes : La représentation d’un Christ jeune, imberbe, évoque la jeunesse et la beauté éternelle du Ressuscité sur lequel le temps n’a plus d’emprise ; la manifestation de Dieu, qui se dérobe aux regards humains derrière un nuage, provoque toujours surprise effroi et admiration. Les deux personnages qui expriment ces sentiments évoquent bien plus les apôtres qui ont assisté à la Transfiguration que ceux qui, dans le récit des  Actes, étaient présents à l’Ascension. On peut noter l’originalité de l’artiste qui s’affranchit des textes et des codes iconographiques : La porte du tombeau reste fermée, ce qui n’empêche pas le Christ ressuscité de s’en évader comme il a su se rendre présent aux apôtres enfermés dans la maison, par crainte des Juifs (Jn. 20, 19) ; les femmes viennent au tombeau, mais sans aromates uniquement, semble-t-il, pour apprendre qu’il n’est plus là. Car l’intérêt de la scène figurée est ailleurs que dans ce monument voué à la mort : les femmes ne peuvent le percevoir car elles tournent le dos à ce qui est essentiel.

Ainsi, cet ivoire illustre d’une manière synthétique, sans autre équivalent iconographique ancien, l’idée théologique que la Résurrection (dont personne n’a été témoin, puisque même les soldats dormaient), et l’Ascension (que les femmes venues au tombeau ne voient pas), ne sont qu’un seul et même mouvement, sans distance de temps entre les deux, à accueillir dans la foi. Une foi en laquelle Marie de Magdala est confirmée lorsqu’elle reconnait le Ressuscité et qu’elle reçoit de lui cet ordre : «  Pour toi, va trouver mes frères et dis-leur que je monte vers mon Père qui est votre Père et vers mon Dieu qui est votre Dieu » (Jean 20, 17).