12/10/2017 prédication André Bonnery

Prédication du 12 novembre 2017 à Carcassonne


 

Lectures

Thessal 4, 13-18

Mt 25, 1-13.

Chants : Spontanés, première formule : O Seigneur dans ta grâce…

247 – Célébrons le Seigneur

601 – Trouver dans ma vie ta présence, tenir une lampe allumée.

616 – Confie à Dieu ta route.


 Encore une parabole. L’enseignement de Jésus se fait souvent en paraboles, c'est-à-dire avec de petites histoires qui délivrent un message sous forme d’images que l’on ne doit pas prendre au sens premier, mais de manière symbolique. On peut dire que Jésus est un maître dans la pédagogie de la parabole. Plutôt que de délivrer un enseignement en termes savants que ses auditeurs n’écouteraient sans doute pas, il retient leur attention par un récit tout simple, avec des comparaisons accessibles à tous mais qui donnent à réfléchir. Réfléchir, c’est ce que nous allons faire aujourd’hui. Qu’est-ce que Jésus a voulu nous dire ?

Proposée à la lecture en ce mois de novembre, en ces jours où nos pensées sont tournées vers le souvenir des morts cette histoire d’attente interminable et de retour impromptu de l’époux, évoque pour nous de manière immédiate l’arrivée inéluctable de la mort, au moment où on ne s’y attend pas. « Vous ne savez ni le jour ni l‘heure ». Omnis hora vulnerat, ultima necat  « chaque heure blesse, la dernière tue » C’est la devise que l’on peut-on lire sur nombre de vieux cadrans solaire, exprimant une conception populaire pessimiste de la vie, avec sa fin inéluctable.

En réalité l’enseignement de cette parabole est beaucoup plus nuancé, plus complexe. Il est surtout moins pessimiste, puisqu’il y est question de noce et de fête. Rien d’inéluctable aussi puisque les participantes à la fête peuvent choisir leur attitude durant l’attente de l’époux.

Mais revenons au récit et à ses divers protagonistes. L’époux, tout d’abord qui invite à la fête. De toute évidence, c’est Jésus lui-même. Les auditeurs l’ont-ils compris ? En tous cas c’était évident pour l’Evangéliste Mathieu et pour ses lecteurs. La parabole des jeunes-filles fait suite à la lamentation sur Jérusalem, à l’annonce de la destruction du temple, à celle de l’avènement du Fils de l’Homme, à la recommandation : veillez et à la parabole du serviteur fidèle. Cette parabole est suivie par la vision du jugement dernier avec le retour du Fils de l’Homme et, au chapitre suivant, par le récit de la Passion. C’est incontestable, Jésus fait allusion ici à son départ et à son retour, mais dans un contexte de noces, c'est-à-dire d’attente d’une grande fête. C’est ainsi qu’il annonce le Royaume des cieux. « Il en sera du Royaume des cieux comme de dix jeunes-filles… » (v.1).

Les autres protagonistes ce sont les jeunes-filles qui attendent. C'est-à-dire nous. Remarquez la hardiesse de la comparaison. Aujourd’hui où l’on a tant de mal à faire accepter l’égalité des hommes et des femmes, où le masculin prime sur le féminin dans la grammaire et aussi dans la vie trop souvent, Jésus compare l’humanité homme-femmes non pas à des jeunes gens mais à des jeunes filles.

Entre ces demoiselles (c'est-à-dire vous et moi, hommes et femmes), il n’y a pas de distinction. Elles ont toutes une lampe. Toutes attendent et au bout d’un certain temps, elles sont gagnées par la fatigue : c’est la nuit, toutes s’assoupissent, c’est normal. Il ne s’agit pas d’opérer d’emblée une distinction entre ces jeunes files en estimant que, par exemple, les unes désignent les fidèles du Christ, les autres les athées, les agnostiques, les membres d’une autre religion. Non, la parabole nous dit qu’elles sont toutes « des demoiselles d’honneur » toutes invitées à la fête. Cela veut dire qu’il  ne nous est pas permis de faire nous-mêmes des distinctions. Personne n’est en droit de donner des leçons aux autres, de s’estimer élu parce qu’il pense bien. Non. Tous les hommes et femmes sont égaux et conviés à la fête. Les jeunes filles seront reconnues comme imprévoyantes ou avisées quand l’heure H sera venue. Ce qui les distinguera donc, à ce moment là, c’est que les unes auront prévu une réserve d’huile et les autres pas. La parabole nous prévient que notre vie prend tout son sens dans l’attente de Celui qui la transformera en fête.

On pourrait être choqué par la réponse des filles « avisées » aux imprévoyantes : « pas question de vous donner de notre huile, nous risquerions d’en manquer toutes, allez plus tôt en chercher à l’épicerie. » La leçon de la parabole n’est pas une morale sur la charité. Elle nous invite seulement à considérer que la vie c’est sérieux et qu’on ne peut pas faire pour les autres ce qu’ils n’ont pas fait en temps voulu. La légèreté, ça se paye.

L’autre « protagoniste », si je puis ainsi m’exprimer, c’est l’huile. D’olive vierge extra, première pression à froid, il s’entend. Il est important de la considérer. Au temps de Jésus, faire provision d’huile c’était avoir l’assurance de pouvoir s’éclaire la nuit avec des lampes (le calel de nos anciens), mais aussi de se nourrir car l’huile était un aliment de base essentiel à la vie, en pays méditerranéen. Souvenez-vous, dans la Bible, au temps du prophète Elisée, cette veuve, mère d’un jeune enfant qui ne possédait plus une seule goutte d’huile et pas une once de farine. Elle déclare : « je n’ai plus rien pour manger, je vais me coucher et, mon enfant et moi, nous mourrons ». L’huile servait aussi de remède pour panser les plaies (voir la parabole du bon Samaritain et de l’homme tombé aux mains des voleurs). L’huile servait aussi d’onguent pour masser les muscles des athlètes et fortifier les malades, un cosmétique pour faire resplendir les visages et le corps. Ces multiples usages rendaient l’huile quasi indispensable à la vie et en ont fait un symbole de la vie en Christ, dont le nom signifie « oint ». Jadis on oignait le corps des baptisés qui étaient appelés à vivre, selon Christ, la foi l’espérance et la charité.

Que nous enseigne cette parabole des jeunes filles attendant le retour de l’époux avec leur lampe ?

Tout d’abord qu’il faut être en attitude de veille. Veiller, c’est  accepter d’être dans la nuit. Nuit dans laquelle nous avons le sentiment d’être bien souvent plongés durant nos existences d’êtres imparfaits et limités. La nuit du doute, de l’incertitude, de l’incapacité de comprendre parfaitement le sens de l’existence ; nuit de la maladie, de la solitude. Accepter plutôt que de chercher des éclairages artificiels et de fausses certitudes. Habiter sereinement notre nuit plutôt que de la fuir en s’abrutissant de sommeil (je ne veux pas savoir, je ne veux pas comprendre) ou, pire encore de drogues de toutes sortes qui n’apportent pas de vraies réponses.

Veiller, c’est respecter la nuit en laquelle nous sommes, la peupler d’une présence, la remplir d’une attente, d’une intercession fervente.

 Pourtant, nous le savons tous par expérience, veiller est aussi une épreuve car le silence nocturne peut être effrayant. Sommes-nous des veilleurs ou des couche-tard qui se divertissent jusqu’à l’épuisement pour ne pas avoir à traverser cette épreuve ? Certes, la veille est  épuisante, mais en même temps elle est féconde. N’est-ce pas dans la nuit du doute, de la recherche obstinée, du travail harassant dont on ne voit jamais la fin, qu’ont lieu les illuminations, voire les grandes créations ? N’est-ce pas aux confins de l’aube que germent les beaux projets ? La veille met à nu le désir de lumière, elle met l’homme en marche vers la clarté. Veiller, ce n’est pas refuser la nuit qui est un passage inéluctable de nos existences, mais être mu par l’ardent désir de ne pas manquer le jour de fête.

Veiller. La vigilance est affaire de désir. C’est le second enseignement. Le désir est une disposition de cœur et d’esprit. Pour ne pas désespérer de la nuit, depuis deux mille ans les chrétiens scrutent les Ecritures afin d’y discerner, comme les premiers disciples de Jésus, la promesse d’un avenir pour le monde et pour les destinées individuelles. La veille dont parle l’Evangile est un acte d’espérance. Une espérance qui se nourrit de ce qui la provoque et la met parfois à rude épreuve. Mais que deviendrait notre espérance si elle n’était stimulée par l’irruption de l’autre dans nos vies, par la brutalité des événements, si elle n’était mise en alerte par l’appel au secours de ceux qui vivent autour de nous sans foi, sans toit, sans travail, sans patrie, sans famille, sans amis ?

Veiller est une affaire de désir. Cependant, le désir, il ne suffit pas d’en parler  pour le susciter. Il ne s’enseigne pas, il ne se transmet pas, il ne se commande pas, il ne s’achète pas. Les jeunes filles imprévoyantes de la parabole en savent quelque chose. Il y a quelques raisons de se faire du souci à force de vivre dans une société de consommation qui croit pouvoir combler ses attentes en se fiant à la technologie qui devrait pouvoir tout résoudre, un jour. Il n’y aurait plus rien à désirer, mais  à faire confiance à la science. Mais on sait très bien que la technologie ne répondra pas à tous les désirs de savoir : savoir ce qu’il y a de l’autre côté de la mort, savoir ce dont demain sera fait, alors on consulte l’horoscope, on a recours aux sciences occultes. Savoir par peur de l’inconnu, pour conjurer l’imprévisible…

Or, Jésus nous enseigne que notre Dieu, justement, est imprévisible. Il entre dans notre histoire par surprise, « comme un voleur » nous dit une parabole, à l’heure où on ne s’y attend pas. Dieu est imprévisible. Au cœur de nos vies, il fait irruption de deux manières, en des circonstances auxquelles nul ne peut échapper et que nous chercherions bien, pourtant, à éviter :

- D’abord dans la rencontre du prochain, celui que je n’ai pas choisi, qui croise ma route et me dérange, me déstabilise peut-être, pour me sommer de l’aimer tel qu’il est ; imprévisible et inattendu comme ce Dieu qui, en Jésus-Christ  s’est fait notre prochain.

- Et puis il y a cette autre manière : le rendez-vous inopiné avec la mort qui nous prend toujours à revers, qui nous jette à la figure notre impuissance radicale de créature… 

Mais la parabole de ce jour est aussi une parole d’espérance : « Il en sera du Royaume des cieux comme de dix jeunes filles… » Ceux et celles qui sauront veiller et garder intact le désir de la rencontre, sans fonder leur vie sur de fausses espérances, participeront à la fête, dans le Royaume. «  Voici l’époux, sortez à sa rencontre ». Rencontre du Christ aujourd’hui  pour qui sait le reconnaître dans l’autre, le prochain, gage d’une rencontre ultime dans le face à face avec l’époux.

C’est bien l’enseignement que Paul nous donne dans la Première Epitre aux Thessaloniciens que nous avons écoutée. Paul qui a entendu la voix du Seigneur Jésus nous transmet cette assurance tranquille qui est pour lui une certitude : « Nous ne voulons pas, frères, vous laisser dans l’ignorance au sujet des morts afin que vous ne soyez pas dans la tristesse, comme ceux qui n’ont pas d’espérance. Si, en effet, nous croyons que Jésus est mort et qu’il est ressuscité, de même, aussi ceux qui sont morts, Dieu, à cause de Jésus, les réunira… Et ainsi, nous serons toujours avec le Seigneur. Réconfortez-vous donc les uns les autres par cet enseignement.» (I Thess. 4, 13 sq)

Seigneur fais de nous des veilleurs.

Seigneur ne permets pas que nous nous laissions égarer par de fausses lumières.

Seigneur aide-nous à ne pas laisser s’éteindre en nous la lampe du désir de la rencontre par manque d’huile : par manque de foi, d’espérance et de charité. Amen.

 

André Bonnery 12/11/2017