09/04/2017 prédication des Rameaux, André Bonnery

Prédication des Rameaux 2017

Esaïe 50, 4-7                   Chants : Spontanés 631(3) + 882

Philippiens, 2, 6-11                     468 Mystère ; 405 Mon Dieu                    

Matthieu  21, 1-11                       408 Ouvre mes yeux

 

En écoutant cet Evangile de Matthieu, on a l’impression d’entendre une belle histoire, presque un conte. Jésus arrive à Jérusalem, une foule sortie de nulle part l’acclame avec des rameaux, jette ses vêtements sur le sol ; Jésus monté sur une ânesse ou un ânon que l’on imagine tout propre, avec de grandes oreilles et des yeux doux, avance majestueusement au milieu d’une population en liesse. Cette scène est si pittoresque, au sens fort du mot, qu’elle est l’une des plus représentée dans l’iconographie chrétienne depuis les origines.

Mais à y regarder de plus près, il y a quelques questionnements : d’où sort cette foule enthousiaste avec des palmes qui jette ses vêtements pour faire un tapis devant Jésus ? Un vêtement, c’est précieux, surtout à cette époque où il fallait soi-même tisser ses habits. Pourquoi le gâcher en le jetant sous les sabots d’un âne ? Pourquoi ces acclamations alors qu’on voit Jésus si souvent en bute à l’hostilité et si prudent lorsqu’il se manifeste par des « signes » ? Et puis, cette histoire d’ânon : « allez à la ville, devant une maison vous trouverez une ânesse et son petit. Détachez-les et emmenez-le. Si on vous demande : pourquoi prenez-vous cet âne ? Vous répondrez : le Maître en a besoin, il vous le ramènera. » Imagine-t-on que l’on vous dise : « allez à Carcas. vous trouverez un scooter sur le trottoir, rte de Narbonne, emmenez-le et si l’on vous dit ; eh, dis-donc, te gêne pas ! Tu veux qu’on t’aide ? » Est-ce que vous vous répondriez, « mon copain en a besoin ; quand il aura fini, il te le ramènera… »

En réalité, il s’agit, malgré les apparences, d’un récit très cohérent et bien construit, riche d’enseignements. Les quatre Evangélistes le rapportent, de manière identique sur le fond, même s’il y a quelques différences de détail ou des précisions chez l’un  qui ne sont pas chez l’autre. C’est donc qu’il est important et qu’il correspond, sans doute, à un événement bien réel qu’il faut savoir interpréter. Cependant, le récit que nous venons d’entendre n’est pas celui d’une simple scène de rue, dans une ambiance orientale festive. Au contraire, il est présenté comme une démonstration du caractère messianique de Jésus, avec des références à l’AT : le prophète Zacharie (9, 11) pour ce qui concerne l’ânesse, ou encore  (Gen. 49, 11) et Es 62, 11) ; références aussi au Ps 118 pour les acclamations. Dans sa narration de l’entrée de Jésus à Jérusalem, Jean (12, 16) dit explicitement : « Tout d’abord ses disciples ne comprirent pas ce qui arrivait, mais lorsque Jésus eût été glorifié, ils se souvinrent que cela avait été écrit à son sujet. » Aucun doute, l’entrée triomphale à Jérusalem n’est pas le simple CR d’un reporter de presse mais une  réflexion a posteriori sur un événement sans doute un peu magnifié dont les disciples n’avaient pas, tout d’abord, compris la signification. Jean, le plus mystique des évangélistes sait, à l’occasion, être aussi le plus précis. En l’occurrence il est le seul à donner une explication sur le surgissement de la foule et sur son enthousiasme, (ce que n’avait pas fait Mt ). Il l’explique ainsi : « La foule de ceux qui étaient avec lui lorsqu’il avait appelé Lazare du tombeau et qu’il l’avait relevé des morts, lui rendait témoignage. C’était bien, en effet, parce qu’elle avait appris qu’il avait opéré ce signe, qu’elle se portait à sa rencontre. »

Ceci étant compris, essayons de tirer quelques enseignements de cet épisode de l’entrée de Jésus à Jérusalem. Je les articulerai autour des trois principaux protagonistes du récit dont Jésus, bien sûr, est le centre. Ces trois, ce sont :

La ville (Jérusalem) ; les animaux (l’ânesse et l’ânon)) ; la foule.

 

Jérusalem tout d’abord. C’est la Ville par excellence des Juifs vers laquelle converge toute la vie religieuse du pays, le siège du Temple, fierté de tous.  Jésus s’y est rendu dans son enfance ou son adolescence, pour y accomplir les pèlerinages traditionnels. Mais toute sa vie publique semble aussi orientée vers Jérusalem. Il prêche surtout chez lui, en Galilée, un peu en Samarie et aussi dans les régions « païennes » du nord, Tyr en particulier et dans la Décapole au-delà du Jourdain. Sa mission de prédicateur se termine et s’accomplit enfin dans une dernière montée vers Jérusalem. Nous y sommes, c’est là que son destin va se sceller. Il est maintenant au pied des remparts, il a pu apercevoir les toitures du Temple, orgueil de la nation, mêlé à une foule de pèlerins, particulièrement nombreuse à l’approche de la Pâque.

 Durant ses nombreux déplacements à travers la Palestine, il a rencontré l’opposition des gens de Jérusalem : les gardiens du temple et de la tradition, prêtres, scribes et pharisiens. Il le sait ces gens là veulent sa perte mais il ne se dérobera pas… La route qu’il suit avec les pèlerins aboutit à la porte de la ville, au sud. Jérusalem dans laquelle il pénètre triomphalement va l’engloutir. Quelques jours plus tard, il en sortira, chargé de la croix, cette fois-ci sous les huées et les crachats, pour être exposé, jusqu’à ce que mort s’en suive, devant une autre porte, au Nord-Ouest, en dehors des remparts. « Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes ! » Jésus connait le sort que l’on a réservé à ceux qui voulaient lutter contre les habitudes ou l’ordre établi, les prophètes d’Israël, maltraités, rejetés, parfois massacrés. Mais il sait aussi que si l’on considèrera sa mission comme un échec puisqu’elle se terminera sur un gibet d’infamie, il sortira vainqueur du tombeau que l’on aura scellé sur son corps  et le lecteur de l’Evangile est appelé à le croire.

 En attendant, il y a de l’agitation à l’intérieur et à l’extérieur de la Ville, mais ce n’est pas la même : à l’extérieur, c’est la liesse, la fête ; à l’intérieur c’est l’émoi. Mth emploi le mot de seien en grec qui a donné séisme en français : « toute la ville fut en émoi » (v.10). Les notables ont peur ; Jean, dans le récit parallèle, se fait l’écho de cet émoi . Il fait dire aux pharisiens « Vous  le voyez, vous n’arriverez à rien ; voilà que les gens se mettent à le suivre. » Et ils commencent à comploter pour faire taire définitivement l’agitateur qui met leurs certitudes et leur pouvoir en danger.

D’une effervescence joyeuse à l’extérieur, d’un espoir insensé en cet homme extraordinaire qui commande même à la mort, on passe à un ébranlement, à un séisme à l’intérieur de la Ville, chez les notables. Il annonce ces deux séismes qui accompagneront la mort et la Résurrection dans l’Evangile de Mt (27, 51 ; 28,4). L’irruption de Jésus dans Jérusalem produit une crise. Il en va encore de même pour nous, dans notre vie ou dans le monde. Le passage de Jésus produit toujours un bouleversement.

 

Second protagoniste l’ânon, ou plutôt, chez Mth, l’ânesse et son petit. En effet, les autres Evangélistes ne parlent que d’un ânon. Ils citent le prophète Zacharie (9, 11): «  Voici que ton roi s’avance vers toi… monté sur un âne, sur un ânon tout jeune » Jean qui est le plus près de ce texte cite ainsi : « voici ton roi qui vient, il est monté sur le petit d’une ânesse. » Pourquoi cette dualité chez Mth ? : une ânesse et un ânon. En raison d’une mauvaise compréhension du texte de Zacharie ou d’une traduction défectueuse ? On peut hésiter car, très curieusement Mth dit que Jésus monte sur l’ânesse et sur son ânon et on met des vêtements sur le dos de l’un et de l’autre pour qu’il puisse s’y asseoir « Les disciples amenèrent l’ânon et l’ânesse puis ils mirent sur eux et Jésus s’assit dessus ». Cette dualité de montures semble bien intentionnelle ? Pourquoi ne pas la retenir comme telle et y voir un symbole en adoptant un moyen d’interprétation des Ecritures habituel chez Origène et, à sa suite chez bien d’autres Pères de l’Eglise ? C’est ce que l’on appelle la lecture allégorique.

 Nous voilà donc, chez Mth, avec deux ânes et Jésus dans un équilibre inconfortable sur ces deux montures. On peut choisir de donner un sens à cet inconfort. Tout d’abord, nous constatons qu’il devient apparent lorsque Mt convoque l’AT pour appuyer la reconnaissance de Jésus comme Messie. Cette démarche était essentielle pour les premiers chrétiens auxquels s’adressait l’évangéliste : des Juifs connaissant parfaitement les Ecritures. Jésus emploiera la même pédagogie lorsqu’il expliquera les Ecritures aux deux disciples d’Emmaüs pour leur faire comprendre qu’elles annonçaient sa Résurrection (Lc 24, 27). Mais la démarche demeure ici inconfortable car elle ne colle pas avec l’image du Messie glorieux que se faisait Israël car Mth annonce un Messie crucifié.

L’inconfort de Jésus sur ses deux ânes, c’est aussi celui du chrétien issu du judaïsme devant assumer le témoignage de l’Ancien et du Nouveau Testament. C’est également celui de Jésus devant assumer  sa double nature : totalement humaine et divine, comme le et qui relie l’âne et l’ânon dans Mt ; comme le tiret qui relie Jésus à Christ, à la fois lien et question. Cet inconfort, c’est celui de la confession de foi du chrétien, aujourd’hui encore et toujours. C’est la situation inconfortable de la foi lorsqu’elle se trouve assise sur deux réalités différentes. Essayer de comprendre ce qui nous défie dans l’affirmation que Jésus (homme) est aussi le Christ (Fils de Dieu) ; essayer de comprendre que le Dieu tout puissant et aimant nous accompagne et nous invite à marcher vers lui. Nouveauté de l’Evangile. La bonne nouvelle, dans cette histoire, c’est que Jésus avance, bien que juché sur deux ânes (l’Ancien et le Nouveau Testament). Et que nous pouvons nous aussi avancer, malgré nos balancements, nos hésitations et nos doutes

 

Troisième protagoniste : la foule.

L’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem est écrite comme le contrepied de l’entrée triomphale des empereurs dans Rome, après un e victoire. Ici et là une foule en liesse, mais quelle antithèse ! Ici un prédicateur itinérant qui multiplie les gestes de bonté envers ceux qui l’approchent, humble, démuni de tout, pacifique, assis sur un ânon, (symbole d’humilité et de douceur), au raz de la foule, à hauteur de leur visage, comme un homme fatigué qui revient des champs. Là un prince arrogant et cruel, juché sur un char rutilant, tiré par des chevaux fringants richement harnaché, que l’on acclame par crainte. Deux conceptions radicalement différentes de l’autorité ! Jésus a l’autorité du Dieu fait homme, non pour les dominer mais pour servir. Certes, il ordonne : « allez à la ville, vous trouverez une ânesse et un ânon, ramenez-les ». Il y a quelque chose d’autoritaire dans cet ordre mais en même temps celui qui le donne se met dans les habits de la fraternité, au niveau de la foule, entouré non pas d’une garde armée, mais de gens simples : ses amis sont des pêcheurs du Lac de Tibériade. Pas de voiture noire aux vitres teintées, pas de papamobile. Quand Jésus monte à Jérusalem, c’est Nazareth qui monte dans la capitale, c’est la province qui monte à Paris ; la campagne qui va à la ville avec l’odeur forte de la toison des animaux qui sentent l’étable.

A propos de l’ânesse et de son petit, il n’est pas interdit de penser qu’ils appartenaient à l’un des amis de Jésus. Alors, l’ordre qu’il donne ne serait pas l’exigence d’un puissant, mais l’humble demande d’un service. Les disciples qui sollicitent la monture disent d’ailleurs : « le maître a besoin ». Jésus témoignerait par là de son amitié fraternelle qui sait qu’elle peut faire confiance et se reposer sur l’autre dans le besoin. Jésus est à la fois dans les habits du grand Dieu d’Israël  qui ordonne et dont la parole crée, il est aussi dans les habits fraternels du Galiléen qui sait qu’il peut compter sur l’âne d’un ami et se reposer, le soir même, chez d’autres amis, à Béthanie (Mc 11, 11). Là où la chaleur de la fraternité et de l’amitié se manifeste dans nos villages et dans nos villes, aujourd’hui, quelque chose de la volonté du Grand Dieu de la Bible s’accomplit et se révèle. Là où quelqu’un ose dire « j’ai besoin de toi », un morceau de bonne nouvelle est partagé.

Continuons à observer la foule et poursuivons, à la manière des Pères, notre lecture allégorique de l’entrée de Jésus à Jérusalem. Dans toutes les traditions, le vêtement est le symbole du pouvoir. Lorsqu’Elie choisit Elisée pour lui succéder, il pose son manteau sur ses épaules. Le roi de France se revêtait de la cape d’hermine fleurdelisée. Aujourd’hui, pour manifester sa fonction et son autorité, le maire porte une écharpe et le pasteur protestant ou l’avocat, une toge. Ici, au contraire, la foule et les disciples se dépouillent de leurs vêtements pour les mettre sur le dos des animaux, afin que Jésus s’y assoie dessus, et sur son passage, comme on déroulerait un tapis sur le tarmac à la descente d’un dignitaire, de l’avion. Ce dépouillement volontaire est un signe d’humilité, de reconnaissance de son indignité devant celui qui passe dont on proclame la grandeur. C’est aussi un signe prophétique, une annonce du dépouillement de Jésus. Dans quelques jours on lui enlèvera ses vêtements, on le livrera en pâture à la foule, et les soldats se partageront sa tunique. Pour l’heure, Jésus apparait comme celui qui suscite le dépouillement de soi, comme lui-même l’a vécu, le dessaisissement de sa propre vie pour qu’elle soit encore plus donnée. Il demande, non pas le mépris de soi mais l’acceptation d’un certain dépouillement pour être plus et mieux au service des autres. Le pouvoir de Jésus, c’est de susciter chez l’homme, naturellement égoïste, la reconnaissance du cœur, dans un élan simple et joyeux. Il y a plus de joie et de grandeur à donner qu’à recevoir

Arrêtons-nous un instant sur cette acclamation : « Hosanna au Fils de David (reconnaissance de la  royauté messianique du Christ). Béni soit au nom du Seigneur celui qui vientHosanna au plus haut des cieux. » « Paix dans le ciel et gloire au plus haut de cieux » ajoute la version lucanienne de l’événement Lc (19, 38). On croirait entendre la louange des anges annonçant la naissance de Jésus à Bethléem. C’est  comme le cri d’un comité de soutien qui est sûr de la victoire de son candidat. Mais ces titres que la foule attribue à Jésus sont à manier avec prudence. On ne proclame pas à la légère la royauté de quelqu’un. Cela suscite des jalousies. Encore un peu et Jésus sera condamné à mort parce qu’il s’est déclaré roi des Juifs. Le motif de sa condamnation sera  écrit sur son gibet.

Aux acclamations enthousiastes de la foule, hors de la ville, correspond « l’émoi » de la foule dans Jérusalem « Qui est-ce interrogeait-on ? (v10) Et les foules répondaient, de manière prudente et neutre « c’est le prophète Jésus de Nazareth, en Galilée », avec une pointe de suspicion sur cette origine bien peu glorieuse pour un prophète.

 Est-ce la même foule qui acclamait, hors de la ville, et qui commentait prudemment à l’intérieur ? Pourquoi pas. Ne sommes-nous pas nous-mêmes dans le balancement de la foi, selon le contexte et selon les interlocuteurs. Parfois des laudateurs  audacieux (le dimanche, pendant le culte) ou des commentateurs prudents (dans la rue, chez des amis, sur le lieu de travail).  L’inconfort de la confession de foi ne nous traverse-t-il pas au point de nous faire moduler notre façon de parler du Christ ? Balancement entre la reconnaissance pleine et entière en Jésus Sauveur que l’on délivre entre gens qui partagent la même foi et le commentaire distancié, réservé : c’était un grand homme, il était juste et bon, peu d’hommes ont parlé comme lui… A moins que cette modulation ne soit le reflet de nos alternances de confiance, d’interrogation, d’affirmation et de réserve ?

 

Après avoir lu ce récit de l’entrée de Jésus à Jérusalem,  il est difficile d’entrer pleinement dans l’enthousiasme un peu naïf d’une foule qui attend le Sauveur qui lui apportera liberté politique et bien être matériel. Nous savons que cela finira par la mise à mort de celui pour lequel on s’enthousiasmait. La foule clamait « Hosanna », comme les anges à Bethléem. Mais on sait qu’à trop faire l’ange, on fait la bête. Est-ce la même foule qui criera « à mort », quelques jours plus tard ? On connait l’inconstance des hommes déçus dans leurs espoirs. Le récit de l’entrée de Jésus à Jérusalem a été écrit pour assurer qu’il  est bien le Messie attendu, le Fils du Dieu Tout-Puissant d’Israël, celui qui donne sens à nos existences. Nous pouvons donc lui adresser nos louanges, nos « Hosanna », pour ce qu’il a fait pour nous : il nous a rétablis, par sa mort, dans l’amitié avec Dieu.  Mais sans naïveté car le mal est toujours présent dans le monde et la vie est rude pour beaucoup. Durant cette Semaine-Sainte, nous lui dirons notre reconnaissance et notre volonté de le suivre, en nous dépouillant de tout ce qui nous encombre, de tout ce qui nous coupe de Dieu et de nos frères, afin de ressusciter, avec lui.

AMEN.

 

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