22/10/2017 prédication Jean Pierre Pairou

 Prédication du 22 octobre 2017

"Le Mal"


 

Job 3, 2 à 10

Mc 4, 35 à 41

 

C’est notre actualité, mondiale et personnelle, qui m’a fait relire ces textes. Comment ne pas parler du mal, de la souffrance alors que des milliers de personnes sont victimes des guerres, des ouragans, des tremblements de terres et que parfois un deuil personnel nous frappe ? Comment se taire, alors qu’au moment où nous sommes réunis ici, des pays entiers sont plongés dans le chaos ?

La question du mal traverse nos vies, notre foi, nos doutes. Mais elle traverse aussi la Bible !

Celle-ci n’est pas le livre des merveilles qui servirait à nous donner une réponse à chaque moment de souffrance. Elle est le livre parcouru par ce questionnement essentiel : «  Pourquoi ? ». Des psaumes au livre de Job, des lamentations de Jérémie jusqu’à Jésus en croix disant «  Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » le questionnement est toujours le même : Pourquoi le mal Seigneur ?

 Et à ce pourquoi nous cherchons une réponse, comme si une rationalisation pouvait guérir le chagrin, la souffrance le mal.

Ce mot lui-même est ambigüe et recouvre deux réalités : D’une part le mal « agit » celui causé par l’homme à son semblable et qui engendre parfois deux souffrances : celle qui est subie par la victime et celle de la culpabilité de l’auteur et que la tradition judéo-chrétienne nomme «  péché ».

Et puis il y a le mal –souffrance, dont on ne fait que subir les effets et qui n’a pas d’explication rationnelle. Le mal engendré par des causes dites naturelles mais qui de plus en plus actuellement est lié au comportement des hommes en général (réchauffement climatique).

 

 L’un et l’autre engendrent le refus, refus d’une certaine image de Dieu comme celui d’Albert Camus pour qui la souffrance injustifiée d’un enfant met en cause l’existence d’un Dieu bon et aimant.

Et chacun d’entre nous n’est-il pas, au fond de lui –même dans ce refus indiscutable ?

Nous tombons ainsi dans la problématique du Dieu bon et tout-puissant qui laisserait se manifester le mal ou d’un Dieu impuissant qui ne peut agir.

Comment sortir de ce questionnement ? C’est ce que la théologie, à travers les théodicées a tenté de faire au fil des siècles.

Il s’agissait d’expliquer, de rationaliser le mal comme fruit de la désobéissance humaine, du péché (à travers la conception augustinienne du « péché originel »). Mais la question de la volonté divine reste entière. Pourquoi la toute-puissance divine a-t-elle laissé faire l’homme ?

 

Ou bien de dire que Dieu parfait, n’avait pu créer que de l’imparfait, ne pouvant créer son égal. C’est le «  meilleur des mondes possible », tant raillé par Voltaire  au moment du tremblement de terre de Lisbonne.

Qu’ont à faire ces « bonnes raisons » avec la souffrance de chacun, inextinguible ?

 

La Bible se réfère souvent, sur ce sujet au «  juste souffrant » dont Jésus est l’image même.
Le texte de Job, dit cette souffrance inexplicable, ce mal radical qu’on ne peut faire entrer dans une rationalité. Elle amène Job à considérer sa propre existence comme une souffrance injuste. Qui d’entre nous n’a jamais ressenti telle injustice. Qui n’a jamais prononcé ce cri de Job. La théophanie finale ne résout rien, si ce n’est  qu’elle amène Job  à « AIMER DIEU POUR RIEN », position essentielle du croyant qui intègre le «  malgré ».

 

 Le texte de Marc sur la tempête apaisée est situé dans une suite de paraboles. Comme celles-ci, elle est chargée de symboles (eau, symbole de vie et de mort, barque église ou vie elle-même). La tempête, déchainement de la nature devient le mal lui-même et ne peut pas ne pas nous faire penser aux ouragans récents. « Grand tourbillon de vent, les vagues se jetaient sur la barque au point que la barque déjà se remplissait » C’est l’image même de l’impuissance humaine face au déchainement de la nature. Ce déchainement est parfois pris pour une manifestation divine, théophanie. Ici il n’en est rien

Une image semble au centre de ce récit : « Et lui, à l’arrière, sur le coussin, dormait ». Le silence du maitre, est le silence même de Dieu. Silence assourdissant de Dieu face aux malheurs, à ces peurs, à ces souffrances humaines. Silence de Dieu face aux Caraïbes, à l’Egypte, au moyen orient, mais aussi aux enfants malades ou disparus.

Mais ce sentiment de l’absence de Dieu recèle son image. L’athéisme lui-même, comme refus de Dieu en porte l’image.

Mais que répondre face à cette interrogation ? Bien sûr il y a l’apaisement de la tempête par Jésus comme la théophanie à la fin de Job, mais ni l’un ni l’autre n’ont empêché la souffrance d’advenir. La véritable réponse est dans le questionnement de Jésus « Pourquoi avez-vous eu peur, n’avez-vous pas encore de foi ? »

 

Il est à souligner que le contraire de la foi, c’est la peur (et non le refus de Dieu)

Face à la souffrance, il n’y a de rationalité, il n’y a qu’une attitude, c’est la FOI.

Elle est ce qu’il reste à Job quand il a tout perdu. Elle est ce qui aurait évité aux apôtres leur souffrance.

«  Aimer Dieu pour rien » La foi n’est pas explication, elle est accrochage à une parole qui fait avancer. Elle est toujours « malgré » et elle n’est pas incompatible avec la plainte ( Cf. Job et es apôtres. ) 

S’adresser à Dieu dans une plainte, c’est une manifestation de la foi.

Encore faut-il disait Paul Ricoeur «  spiritualiser la lamentation »

 

Qu’est-ce à dire ?

 

1° intégrer l’ignorance :

Non Dieu n’a pas voulu cela, non il n’a pas voulu punir mais je ne sais pas pourquoi les choses arrivent ainsi.

 

2°Laisser se répandre la plainte contre Dieu. La relation d’alliance passe par une interrogation mutuelle. Chez les diaconesses le jour du vendredi saint, on récitait les «  impropères », forme de procès que Dieu fait aux hommes pour la mort de Jésus. « Que t’ai-je fait ô mon peuple ? »

De la même manière, la plainte de l’homme est relation à Dieu pour peu qu’elle «  aime Dieu pour rien »

 

3° La victoire sur le mal est en route, elle n’est pas acquise et l’espérance doit se détacher de l’impatience «  Jusques à quand ? » des psaumes.

 

4° Les raisons de la foi, de la confiance en Dieu n’ont rien à voir avec le besoin d’explication de l’origine de la souffrance. Croire, c’est toujours croire malgré. Il convient d’intégrer ce «  malgré «  dans la foi.

 

Avoir la foi, c’est nous dire que nous ne sommes pas seuls, la plainte est aussi relation à Dieu.

 

Elie Wiesel raconte qu’à Auschwitz deux adolescents furent pendus. L’un mourut immédiatement et l’autre mit du temps à mourir. « Où est Dieu dans tout ça ? » entendit Wiesel plusieurs fois, puis une réponse lui vint : «  il est là, au bout de la corde ! » image d’un Dieu qui souffre avec l’homme. C’est là l’image d’une théologie de la croix qui transmute la lamentation dans laquelle la plainte de l’homme est aussi celle de Dieu.

 

Aimer Dieu pour rien comme Job, c’est la foi même, c’est la grâce partagée.

 

Puissions-nous entrer dans cette espérance sans impatience, sans comprendre, l’aimer pour rien, comme Lui nous a aimés.

 

Jean-Pierre Pairou    22/10/2017