22/03/2020 prédication Jean Pierre Peirou

Prédication du dimanche 22 mars 2020 (confinement)

Textes : Deut.6. 1 à 9

Marc 12. 28 à 34

 

Ce texte est fondamental car il reprend le fondement même du judaïsme avec le « Schema Israel » confession de foi.

Ainsi, il m’a semblé judicieux de prendre la traduction de la Bible d’A. Chouraqui imprégnée de la tradition juive mais qui aussi la décentre. Qu’est-ce que cet épisode nous révèle de neuf, s’il ne fait que reprendre le Deutéronome ?

Le texte est pris entre une question sur la résurrection par les saducéens et une question sur l’héritage davidien de Jésus puis une diatribe entre les scribes. Le scribe est un spécialiste de la Thora. Il ne cherche pas ici à piéger Jésus. La relation entre les deux est courtoise. Il me semble intéressant de prendre comme souvent le texte par sa fin, à savoir ici par la notion de royaume d’Elohim (Dieu) ou plutôt de règne de Dieu. En effet, ce concept permet d’englober à la fois l’intérieur et l’extérieur : Elohim (Dieu) règne dans nos vies et règne sur le monde. Le général et le particulier se rejoignent « Tu n’es pas loin du règne de Dieu dit Jésus. Le règne (ou royaume, même mot en grec) englobe le monde mais vit en chaque individu.

Comment le définir à travers l’évènement raconté ?

Le scribe est dans une problématique juive (mais qui deviendra aussi sans doute chrétienne) qui est celle de l’obéissance à la Loi. Celle-ci est sous-tendue par l’idée d’une hiérarchie dans les préceptes divins. Ce qui est vrai pour le judaïsme où l’on trouve les prescriptions alimentaires qui nous semblent si éloignées de l’amour de Dieu.

Nous même n’échappons pas à cette problématique à travers l’histoire de l’Eglise, mais aussi de façon plus ou moins consciente à travers la notion de mérite qui règne dans notre organisation éthique et sociale. Qu’est-ce qui est le plus important dans notre relation à Dieu ? Faire du religieux (piétisme) ? ou faire du social (christianisme social).

Qu’est-ce qui est central lorsqu’on se veut chrétien ? Qu’est-ce qui fait que nous sommes près du Règne ou Royaume de Dieu ?

La première réponse n’est pas de l’ordre du « faire » mais qui est d’abord la confession de foi d’Israël que nous chantons parfois. Il s’agit d’abord d’un ordre : « écoute ! » ordre qui nous parait bien « protestant » (sola scriptura) mais qui est parfois bien difficile ! « Entend ! »  traduit A. Chouraqui,  tant il est vrai que l’on peut écouter sans entendre ! Ceci est bien sûr à mettre en relation avec l’affirmation de Paul « La foi vient de ce que l’on entend » Rom. 10, 17. Il nous est donc demandé une attitude passive et réceptive qui le plus souvent nous bouscule dans nos habitudes et nos certitudes. (« quid » si je ne suis pas dérangé par une prédication ?)

La seconde affirmation est : « Le Seigneur est Un » L’on a envie de dire « bien sûr !   nous ne sommes plus au bon vieux temps du polythéisme ! » Dieu est unique, pourtant le terme Elohim qui le désigne dans la Bible hébraïque revêt une terminaison plurielle. Nous avons aussi, chacun d’entre nous a, individuellement ou collectivement beaucoup d’autres « dieux » qui dirigent nos vies : l’argent, la finance, qui dirige le monde comme si l’homme n’en était pas maitre. La « religion » aussi parfois quand elle n’est vécue que comme une assurance tous-risques et qui conduit à une idolâtrie peu évangélique ! A cela s’ajoute tout ce que le consumérisme ambiant nous propose ou nous impose ! Face à cette foule d’idoles, il nous est demandé de ne donner place dans nos vies qu’à l’Elohim d’Israël. Et le texte insiste en précisant la place à donner, dans son cœur, son être, son intelligence, et sa force !

-Dans son cœur, symbole du sentiment mais aussi de la volonté, du sens moral.

-De tout son être, traduction du grec psyche, qui signifie vie ou âme. Idée que notre principe vital doit être tourné vers Dieu

- De toute son intelligence. Il est important de ne pas laisser cette place centrale faite à Dieu s’étouffer dans le sentimentalisme. Elle ne doit pas être livrée à la seule émotion.

-De toute sa force (ischuos en grec) étonnant mot qui évoque presque la puissance physique.

Ces précisions, d’une certaine manière, éclairent la notion d’amour (agape) qui n’est pas un vain sentimentalisme mais nous fait nous décentrer vers Dieu et , partant, vers l’autre. Cet « agape » est le tout de la vie et nous décentre de notre ego tout en s’incarnant dans une attitude face au monde.

« Aime ton compagnon comme toi-même » traduit A. Chouraqui. Ce qui suppose de s’aimer soi-même. Il s’agit de ne pas désespérer de soi. Ce désespoir de soi est Le péché, c’est la faute absolue. Désespérer de son péché, c’est désespérer de Dieu et de sa Grâce. Chacun, moi-même comme mon compagnon, mon prochain, sommes images de Dieu. Ainsi ne pas aimer cette image, c’est d’une certaine manière ignorer Dieu ou, en n’incarnant pas son amour (agape), en faire une idole.

Ainsi peut-on s’approcher du « règne » de Dieu, en soi-même. La « Loi » divine est d’abord un chemin sur lequel chacun avance à son rythme. Ainsi, peu à peu, avec sa propre force devons-nous tenter d’être une partie du monde telle que nous voudrions qu’il soit. Le chemin individuel s’incarne dans le monde où l’on sème une petite graine qui peut devenir un arbre. Ainsi en fut-il de Rosa Parks qui, en refusant de céder sa place dans le bus donna naissance au grand mouvement des noirs américains avec Martin Luther King.

Il convient de recentrer sa vie dans la perspective divine, c’est ce qui donne à chacun le sens de sa vie, c’est-à-dire sa direction et sa signification. C’est se centrer sur le règne de Dieu, sur le royaume d’Elohim.

Jean-Pierre PAIROU