05/07/2020 prédication André Bonnery

Prédication d’André Bonnery à Carcassonne, le 5  juillet 2020.

 

Lectures : Mt. 10, 1-8 ; Dt. 27, 2-8

Chants : 118 ; 610 ; 588 ; 536 ; Répons chantés : Formule 1

 

Introduction

Aujourd’hui, ma prédication ne portera pas sur un texte particulier, mais sur une thématique transversale : Jésus et les Samaritains. Ceci nous conduira donc à comprendre, dans un premier temps, qui sont les Samaritains, ensuite ce qui les caractérise, pour voir enfin comment Jésus a adapté et fait évoluer son message vis-à-vis de cette communauté, sœur de celle des Juifs par ses origines et sa religion, devenue au cours de l’histoire, un groupe religieux méprisé jusqu’à la détestation.

 

I - Qui sont les Samaritains ?

On se souvient de la réflexion de Jean dans le passage de son Evangile qui rapporte l’étonnant dialogue de Jésus avec une femme de Samarie : « Les Juifs n’ont pas de relation avec les Samaritains.» (Jn 4, 9) Le contexte politico-social est posé. Au début de notre ère au moins, Juifs et  Samaritains cohabitaient mais s’ignoraient. En fait, c’est peu de dire cela car en réalité, ils se détestaient. Cette exécration apparait dans cette apostrophe des détracteurs de Jésus : « N’avons-nous pas raison de dire que tu es un Samaritain et un possédé ? » (Jn. 8, 48). Traiter quelqu’un de Samaritain était une insulte.

 

Comment en était-on venu là ? Car les Hébreux partis d’Egypte qui, après avoir franchi le Jourdain, comme il est raconté dans le passage de Deutéronome 27 qui vient d’être lu, occupèrent la Terre Promise depuis la Galilée jusqu’en Judée,Samarie comprise. Les descendants desdouze fils de Jacob, organisés en tribus s’installèrent, en cohabitant avec les autochtones. La Samarie échut aux tribus d’Ephraïm et de Manassé. Vers l’an 1000 David unifia l’ensemble du territoire en créant un royaume dont Jérusalem était la capitale. L’unité dura peu de temps aprèsl’apogée du règne de Salomon. Le grand royaume de David fut divisé en deux, plus petits : le royaume de Juda occupait le sud, avec Jérusalem pour capitale, tandis que le royaume du Nord avait pour centre politique, Samarie. On a voulu, à tort, faire remonter à cette division territoriale l’opposition des Juifs et des Samaritains. Il n’en est rien.

 Certes, l’occupation Perse au VIe siècle, suivie des déportations des Hébreux des deux royaumes (en 722 pour Samarie et 587 pour Jérusalem),  l’implantation de colons perses en Samarie, l’introduction du culte de divinités mésopotamiennes ont légitimé le grief fait par les Juifs aux Samaritains, d’être impurs. 

En outre, la résistance inégale à l’hellénisation de 333à 63 avt.J.C. a abouti à des incompréhensions crispées entre Juifs et Samaritains, d’autant que l’ancien lieu sacré du mont Garizim se développa alors comme pôle de la religion pour les habitants de la Samarie.

Mais l’événement le plus important ayant abouti à la radicalisation de l’opposition entre Juifs et Samaritains n’a eu lieu qu’à la fin de l’époque hellénistique, un peu avant l’an  100. A l’issue des guerres des frères Macchabées, émerge en Judée un royaume dont Jérusalem devient la capitale et qui englobe la Samarie. Ce royaume resta indépendant jusqu’à l’arrivée de Romains, en 63 avt. J.C. De vives tensions eurent alors lieu entre les Samaritains, (occupés par les Judéens), dont le culte se rattachait au mont Garizim et les Juifs fidèles au culte centré sur Jérusalem. Le roi juif Jean Hyrcan, pour briser la résistance de la Samarie, dévasta alors la ville de Sichem (Sychar) et le sanctuaire du Garizim. C’est de cette période que date le véritable antagonisme judéo-samaritain. (Un siècle avant le Christ.) Un mouvement naturel de balancier valut aux Samaritains la faveur romaine. En effet, les Samaritains humiliés par les rois juifs (de la dynastie des hasmonéens) ne participèrent à aucune des deux insurrections contre le nouvel occupant romain. En récompense, la ville de Samarie fut restaurée, dès la conquête du pays par Rome, puis refondée sous le nom de Sébaste. [Après le désastre de l’an 70, après J.C. qui vit la chute de Jérusalem et la destruction complète du Temple, l’empereur Vespasien autorisa le redressement du temple du mont Garizim et il refonda Sichem comme colonie romaine, sous le nom de Néapolis, la Naplouse actuelle) qui maintient un véritable patriotisme samaritain jusque dans la diaspora. Voilà dans quel contexte historique il faut inscrire la prédication de Jésus et l’expansion du christianisme au premier siècle de notre ère.]

 

II - Quelle est la foi des Samaritains ?

Les Samaritains sont culturellement et religieusement, des Hébreux, comme  les Juifs, fils spirituels d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Ce dernier est d’ailleurs venu se fixer dans le territoire qu’ils occupaient et, selon la tradition, il creusa le puits de Sichem (Sychar) où Jésus vint se désaltérer : « Serais-tu plus grand, toi que notre père Jacob qui nous a donné ce puits ? (Jn 4, 12).

Ils forment une communauté dont la foi et la pratique sont très proches de celles du judaïsme. Le Pentateuque, les cinq premiers livres de l’Ancien Testament, appelé aussi la Torah, est au cœur de leur religion, avec quelques variantes, notamment orthographiques qui peuvent s’expliquer par l’évolution phonétique et grammaticale de l’hébreu et de l’araméen. Ils ont également parfois remanié le texte en fonction de leur idéologie. Le poète samaritain qui vivait vers l’an 400 (de notre ère) résume ainsi la situation : « Il n’y a aucun Dieu en plus de notre Seigneur, aucune écriture comme la Torah, aucun vrai prophète comme Moïse ».

 Il existe donc un Pentateuque samaritain dont la formation est aussi ancienne que celle du Pentateuque juif avec, naturellement une origine commune. Samariens et Judéens ont, en fait, contribué à sa rédaction durant l’époque Perse, en exil. [Le chapitre 24 du Livre de Josué met en avant la Torah comme fondement d’une nouvelle alliance politique et religieuse qui transcende les divisions anciennes des royaumes du Sud et du Nord.]

Cependant, la littérature canonique samaritaine n’est pas aussi abondante et diversifiée que celle du rabbinisme. Ils ne reconnaissent pas l’autorité de la deuxième et de la troisième génération du canon juif : Les Prophètes et les autres Ecrits à l’exception du Livre de Josué qui figure aussi dans leur Bible mais sans avoir le même crédit que le Pentateuque. Par contre les Samaritains ne reconnaissent pas l’autorité de la Torah orale : Midrasch, Michna, Talmud.

Sur le plan de la pratique religieuse, ils appliquent la plupart des règles des Juifs traditionnels : respect du Shabbat, de la circoncision, de la Pâque, de la Fête des Tabernacles. Au temps de Jésus, le rabbin Simon ben Gamaliel en attestait : « Toute pratique religieuse observée par les Samaritains est suivie avec plus de minutie que par les Israélites proprement dit

 

Mais la différence la plus importante, en tous cas la plus visible et la plus symbolique est le fait que la résidence choisie par Dieu pour le culte se trouvait sur le mont Garizim pour les Samaritains, alors qu’elle était dans le temple de Jérusalem pour les Juifs. Cette différence cultuelle géographique est spontanément mise en avant par la Samaritaine : « Nos pères ont adoré sur cette montagne et vous, vous affirmez qu’à Jérusalem se trouve le lieu où il faut adorer »(Jn 4, 20).

 

III - Les Samaritains dans le Nouveau-Testament.

Ce n’est pas chez Jean qui écrivit le merveilleux dialogue de Jésus et de la Samaritaine que l’on trouve le plus de mentions de la Samarie, mais dans l’œuvre de Luc, tant son Evangile (trois fois) que le récit des Actes (trois fois encore), et une fois chez Matthieu.

 

Dans l’Evangile de Matthieu qui vient d’être lu, On est au début de la mission de Jésus, il envoie ses disciples deux par deux pour apporter la Bonne-Nouvelle et il leur recommande : « Ne prenez pas le chemin des païens et n’entrez pas dans une ville de Samaritains ». Est-ce par défiance vis-à-vis de ces derniers ? Ce n’est pas évident, en tous cas son explication est autre : « allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d’Israël (les Juifs) » (Mt 10, 5-6). Apparemment il ne veut pas que les pharisiens avec qui il est déjà entré enconflit, lui reprochent de s’intéresser en priorité à d’autres qu’à son peuple.

 

Pourtant, Jésus n’hésite pas à traverser la Samarie, selon Luc, au cours du premier voyage vers Jérusalem, et à y faire halte. Ce ne fut pas un franc succès. « Jésus envoya des messagers devant lui. S’étant mis en route, ils entrèrent dans un village de Samaritains pour préparer sa venue, mais on ne l’accueillit pas parce qu’il faisait route vers Jérusalem.» (Luc 9, 52-53) On voit à l’œuvre l’hostilité des deux camps. Jacques et Jean partent au quart de tour : « Voyant cela, les disciples Jacques et Jean dirent : « Seigneur veux-tu que nous disions que le feu tombe du ciel et les consume ? ». Mais lui se retournant les réprimanda.» On peut mesurer le niveau d’antipathie des uns pour les autres ! Luc ne dit pas en quoi consiste cette réprimande, du moins dans les manuscrits qui ont été retenus par les éditions modernes de la Bible. Par contre, peu à peu, au cours de la montée vers Jérusalem, il distille une réponse à la question posée par le caractère incomplet du texte. Le silence de Luc en ce qui concerne l’attitude non violente de Jésus a pour but de montrer au lecteur ce qui apparait comme le cœur de son message : la pratique inconditionnelle de la paix et de la bienveillance à l’égard de tout homme.

 

En attendant, Luc procède par petites touches. Ce n’est pas un hasard si Jésus choisit de mettre en scène un Samaritain « humaniste » dans sa parabole sur l’homme tombé aux mains des brigands sur la route de Jéricho (Luc 10, 29-37) « Lequel des trois, à ton avis s’est montré le prochain de l’homme tombé aux mains des brigands ? » Un peu plus loin, Jésus guérit dix lépreux et il fait observer qu’un seul est venu pour le remercier : c’était un Samaritain (Luc 17, 12-19). Ainsi, l’hostilité initiale du village samaritain vis-à-vis de Jésus et de ses amis n’annule en rien l’exigence de paix universelle et d’amour pour tous prêchée par Jésus. Cela apparait très clairement dans l’épisode de Zachée, avec cette formule clé : « Le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. » (Luc 19, 10).Finalement l’attitude de Jésus, sa compassion pour toute l’humanité, va le conduire à la mort.

Cette insistance de Jésus à les valoriser, est l’indicateur de l’importance jouée par les Samaritains dans la théologie de Luc. Comme les lépreux ou les publicains ils sont le symbole des exclus pourtant accueillis dans le Royaume. Ceci doit nous conduire à questionner nos propres pratiques d’exclusion et à nous faire avancer sur le chemin de la paix.

 

Contrairement à ses contemporains, Jésus a de bonnes relations avec les Samaritains. Je me contenterai encore de rappeler le bel épisode déjà évoqué de la station du Maître auprès du puits de Jacob à Sichar (ou Sichem). (Jn, 4, 1-42). Remarquons qu’une fois encore Jésus n’avait pas hésité à traverser la Samarie pour se rendre de Galilée à Jérusalem. Cette fois-ci, l’accueil enthousiaste des Samaritains de Sichar, fait oublier celui du village hostile dont parle Luc et doit apaiser, un tant soit peu, la fureur impétueuse de Jacques et de Jean. Le récit du dialogue près du puits, dont aucun apôtre n’a été le témoin, nous est connu sans doute parce que la Samarie fut évangélisée, après le départ du Christ, par Philippe (Actes 8, 5-25). Non seulement l’apôtre ne fut pas rejeté, mais « beaucoup, hommes et femmes, se convertirent et furent baptisés au nom de Jésus » (v. 12). Le succès de Philippe auprès des Samaritains fut tel, qu’ «apprenant que la Samarie avait accueilli la parole de Dieu,les apôtres qui étaient à Jérusalem y envoyèrent Pierre et Jean … afin qu’ils reçoivent l’Esprit-Saint. En effet l’Esprit n’était encore tombé sur aucun d’eux » (v 14-16).

En s’intéressant à la Samarie, les apôtres ne faisaient qu’obéir à cette consigne de Jésus au début du livre des Actes : « Vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre (Ac. 1, 8). Cette dernière parole du Maître concernant les Samaritains ne fait que confirmer sa prédilection pour cette fraction du peuple d’Israël. Après avoir recommandé à ses disciples de ne pas entrer, dans un village samaritain, il leur confie maintenant l’évangélisation de la Judée et de la Samarie. Entre temps il leur en a expliqué la raison.

 

En conclusion. Aujourd’hui qu’en est-il des Samaritains ? Alors qu’ils furent une communauté très nombreuse dans l’Antiquité, ils ne sont plus qu’un groupe de 7 à 800, répartis entre Holon, un faubourg de Tel-Aviv et les pentes du mont Garizim où chaque famille possède une résidence. Toujours fidèles à leur foi ancestrale et à leurs rites, ils sont des citoyens à part entière de l’Etat d’Israël. Nous ne nous attarderons pas sur les raisons de cette hémorragie de population ni sur leurs pratiques communautaires actuelles, mais nous retiendrons que le Samaritain reste pour nous, selon Jésus, le symbole de l’attention que nous devons avoir vis-à-vis des méprisés, des exclus. La fraternité universelle, qui s’étend aux étrangers et même aux ennemis, constitue le sceau de l’enseignement de Notre-Seigneur.  Amen.

 

Note : Samarien = habitant de la Samarie ; Samaritain, pratiquant de la religion

Judéen = habitant de la Judée ; Juif pratiquant la religion.