15/10/2017 prédication Antoine Nouis

Prédication du pasteur Antoine Nouis au temple de Carcassonne,

15 octobre 2017 lors du culte œcuménique de rentrée

 

L’amitié de Dieu

Gn 18.20-33

Ex 32.11-14

Jn 15.9-15

 

Schématiquement, les spiritualités peuvent se distinguer selon deux grandes catégories. Il y a d’abord les spiritualités de l’acceptation. Elles considèrent que nous n’avons aucune prise sur ce qui nous arrive et que la spiritualité consiste à un travail sur soi pour nous aider à accepter, et à aimer ce qui advient. Nous retrouvons cette spiritualité dans le stoïcisme dont un de ses représentants, Épictète a dit : « Être libre, c’est vouloir que les choses arrivent, non comme il te plaît, mais comme elles arrivent. » Les religions orientales, et notamment le bouddhisme, sont dans la même perspective que le stoïcisme, mais aussi l’islam dont le grand mot est la soumission à la volonté divine qui se confond parfois avec le réel.

Nous trouvons des éléments de soumission dans la Bible, mais ils sont en tension avec une autre spiritualité, la spiritualité de la parole et je voudrais partager avec vous ce matin quelques récits bibliques qui la présentent.

La foi comme parole

Deux récits bibliques sont emblématiques pour évoquer cette dimension de la foi. Le premier est le dialogue d’Abraham avec Dieu à propos de Sodome. L’histoire est la suivante. Lorsque Dieu a décidé de supprimer Sodome parce qu’il ne supporte plus l’injustice de la ville, il en fait part à son ami Abraham (Gn 18.17-33).

Dieu dit à Abraham : « Je vais détruire Sodome. » Devant une telle annonce, si Abraham avait été un bon stoïcien, il aurait répondu : « Tu es Dieu et tout ce que tu fais est juste. C’est vrai que les Sodomites se sont mal comportés. Louange à toi Seigneur, car tu es le Dieu de la justice ! » Au lieu de cette attitude de soumission, Abraham commence par entrer en discussion avec Dieu : « Tu veux détruire Sodome, car la ville est injuste, mais es-tu sûr qu’il n’y a aucun juste à Sodome ? Posons l’hypothèse qu’il y ait cinquante justes dans la ville. Si tu la détruisais, tu détruirais les justes avec les injustes, ce qui est le contraire de la justice. » Dieu est obligé de reconnaître la logique de l’argumentation et annonce à Abraham qu’il ne détruira pas Sodome s’il trouve cinquante justes en son sein. Avec habileté, Abraham fait remarquer que l’argumentation demeure pertinente si, au lieu de cinquante, il n’y avait à Sodome que quarante-cinq, quarante, trente, vingt, dix justes. Dieu déclare qu’il ne détruira pas Sodome s’il trouve dix justes dans la ville. Abraham s’arrête là et Sodome a été détruite, car il ne s’est trouvé qu’un seul juste en son sein, Loth. Dieu a pris soin de le faire sortir de la ville avant de la détruire.

Un autre récit rappelle la prière d’Abraham en faveur de Sodome, c’est l’intercession de Moïse lorsque Dieu a décidé de détruire le peuple après l’idolâtrie du veau d’or (Ex 32.11-14). Lorsque Dieu déclare à Moïse qu’il sera épargné, car il n’a pas participé à l’érection de l’idole, ce dernier aurait pu rendre grâce de la bienveillance de Dieu à son égard. Au lieu de cela, il va utiliser tous les arguments pour faire revenir Dieu sur sa décision. Il commence par lui dire qu’il ne peut pas détruire son peuple, car il serait alors la risée des Égyptiens qui se moqueraient de lui en disant : « Qui est ce Dieu qui a libéré son peuple pour le faire périr dans le désert ? » Ensuite, de même qu’Abraham a opposé la justice de Dieu à Dieu lui-même, Moïse va lui opposer sa promesse et dire : « Tu as promis à tes serviteurs Abraham, Isaac et Israël de donner une terre à leur descendance, tu ne peux pas revenir sur ta parole. » Et le texte se conclut en déclarant que Dieu regretta le malheur dont il avait décidé qu’il frapperait son peuple.

Amitié de Dieu

On peut se demander comment Dieu a réagi face à la prière de ses serviteurs. Il aurait pu se vexer qu’un humain, un petit vermisseau dans sa création, ait l’impudence de s’élever contre ses décrets, mais apparemment ce n’est pas le cas si on en croit ces deux versets : « Le Seigneur parlait avec Moïse face à face, comme un homme parle à son ami (Ex 33.11) » et « Toi, Israël, mon serviteur, Jacob, que j'ai choisi, descendance d'Abraham, mon ami (Es 41.8, voir aussi Jc 2.23)! » Dans le Premier Testament, Abraham et Moïse sont les deux seules personnes à porter le titre d’ami de Dieu. Le propre d’un ami est qu’on peut tout lui dire, quand on est d’accord et quand on n’est pas d’accord.

Nous trouvons dans l’évangile de Jean, un passage qui est spécifique à cet évangile. Entre le dernier repas de Jésus et son arrestation, il récapitule pour ses disciples, sous la forme d’un testament spirituel, l’essentiel de son enseignement. Et au cœur de ce testament, les quelques versets que nous avons lus, que nous pouvons considérer comme le joyau de son évangile : Que ma joie soit en vous… Aimez-vous… Je ne vous appelle plus serviteurs, parce que le serviteur ne sait pas ce que fait son maître. Je vous ai appelés amis, parce que je vous ai fait connaître tout ce que j'ai entendu de mon Père (Jn 15.15). Jésus nous invite à entrer dans l’amitié de Dieu, là où se sont tenus Abraham et Moïse.

Actualisation

Autrefois, les protestants étaient appelés les tutoyeurs de Dieu. Le tutoiement induit l’amitié, l’écoute et la parole, le partage et la relation. Je voudrais pour terminer ouvrir trois pistes sur les conséquences d’une telle approche pour nous aujourd'hui, sur l’affirmation du sujet, l’Église et la société.

La prière est l’affirmation du sujet. Dans un monde où l’individu a tendance à être noyé dans la masse, à n’être qu’un numéro, un pion, à être réduit à sa nationalité, sa famille, son métier… la prière affirme l’immense dignité du sujet qui est écouté, entendu, pris en considération par le Dieu de la terre et du ciel. Devant Dieu, chaque être est un infini et les infinis ne sont pas quantifiables, chaque infini est un monde à lu tout seul.

L’amitié de Dieu induit une forme d’Église. Les quakers appellent leur communauté la société des amis. L’Église est le rassemblement de ceux qui se savent liés  les uns aux autres parce qu’ils cultivent cette amitié de Dieu. Si nous croyons l’adage qui dit que les amis de mes amis sont mes amis, alors l’Église est cette communauté d’hommes et de femmes qui se savent liés par une même amitié.

Pour évoquer les conséquences sur notre responsabilité dans la société, je voudrais revenir sur l’intercession d’Abraham. Les sages se sont demandé pourquoi il s’était arrêté à dix. Pourquoi n’a-t-il pas poursuivi sa prière ? Une réponse nous interpelle : parce qu’Abraham savait qu’en deçà d’un seuil minimum de justes, une société ne pouvait pas tenir et s’effondrait sur elle même. Il est de bon ton de se lamenter sur l’état de notre société. Notre texte de ce matin nous dit : ne t’occupe pas des autres, toi, seras-tu un de ces justes qui permettront à notre ville de subsister ?

 

En cette année 2017, l’Église protestante unie de France nous a invités à réfléchir aux thèses qu’elle pourrait afficher pour dire sa compréhension de l’Évangile. Ma propre thèse parlerait de l’amitié de Dieu. Pour entrer dans cette amitié, je suis appelé à l’écoute et à la parole. Celui qui n’écoute pas a une foi autiste et celui qui ne parle pas a une foi muette. Écouter parce que Dieu parle. Parler parce que Dieu n’est pas sourd à la parole de l’humain.

Amen