10/03/2019 1er dim. carême : prédication André Bonnery

Prédication du 10 mars 2019, à Carcassonne.

1er dimanche de Carême.

Lectures : Romains, 10, 8-13 ; Luc 4 1-13

Chants : 401 ; 428 ; 616.


 

Ce dimanche 10 mars est le premier du Carême : il place Pâques à l’horizon de 40 jours. C’est sans doute la raison pour laquelle on a choisi de livrer à notre méditation l’Evangile de Luc qui nous parle des 40 jours de jeûne de Jésus dans le désert. Traditionnellement, chez les chrétiens, le carême est un temps de jeûne destiné à purifier le corps et l’esprit pour mieux entrer dans la démarche spirituelle qui conduit vers Pâques. Ce n’est pas trop la tradition chez les protestants qui n’aiment pas qu’on leur impose des règles strictes, mais rien ne nous empêche de voir quel est le jeûne qui nous conviendra le mieux, durant ce temps de carême, pour purifier notre corps  et surtout notre  cœur. Le Carême, ce peut être une occasion de réfléchir sur nos pratiques et la qualité de nos relations, afin de les rendre meilleures, c'est-à-dire plus conformes à l’esprit de l’Evangile.

Après ce prologue, revenons au texte.

Nous sommes au début de la prédication du Christ, ce que l’on appelle sa vie publique. Jésus vient de se faire baptiser et il va au désert, lequel était tout proche : il suffisait de s’écarter un peu de la vallée du Jourdain.

Les récits de Luc et de Mathieu sont parallèles, celui de Marc se résume à deux versets, comme s’il renvoyait au deux autres Evangiles, pour abréger. On peut se demander qui fut le témoin de l’épisode qui nous est narré ? En fait le désert et les quarante jours de retraite qui vont avec sont une constante dans la Bible pour marquer les temps de purification et de réflexion avant les actions importantes : les quarante jours du déluge avant que ne naisse une humanité nouvelle ; les quarante jours de Moïse sur la montagne avant que ne soit délivrée la loi ; les quarante jours d’exploration de la terre promise suivis des quarante années à errer dans le désert, avant d’en prendre possession ; les quarante jours de marche d’Elie. La symbolique des 40 est encore reprise dans le N.T. Les 40 jours entre la Résurrection et l’Ascension, c'est-à-dire le retour vers le Père. De nos jours on parle encore de quarantaine, dans un lieu où les contagieux sont mis à l’écart (leur désert) pour être sûr qu’ils ne pourront pas contaminer les autres.

Jésus va donc au désert quarante jours, nous dit l’Evangile, pour passer de la condition d’un Nazaréen normal, banal, à celle de Messie, annonciateur de la bonne nouvelle. Durant cette épreuve, volontairement choisie, il a connu la tentation. N’imaginons évidemment pas celle-ci comme un affrontement avec l’ être hideux, de l’iconographie médiévale. Il n’en reste pas moins que le mal est une réalité et que nul n’échappe au risque de se laisser séduire par lui : « …. Et ne nous laisse pas entrer dans la tentation, mais délivre nous du mal. » L’homme Jésus n’a donc pas échappé au lot commun de l’humanité. Il est intéressant cependant de noter que la TOB n’a pas intitulé cette péricope « la tentation de Jésus au désert », comme l’on fait d’autres éditions, mais bien « Jésus victorieux de la tentation.» Le but en effet était de montrer que le bien est plus fort que le mal et que Jésus, le Fils de Dieu, est venu dans le monde pour vaincre ce mal et réconcilier avec Dieu l’humanité, et même l’univers  tout entier, selon Paul (Ro. 5 ; Eph 1, 3-13).

Examinons les trois tentations de Jésus et voyons comment il les vainc :

 

La première porte sur la faim de nourriture. Rien de plus normal. Après quarante jours de jeûne, il y a de quoi avoir quelques hallucinations et l’envie brûlante de se mettre quelque chose de consistant sous la dent…. même si le jeûne n’était pas été total (Jean-Baptiste au désert mangeait des sauterelles) et que l’organisme ne peut se passer d’eau. Nous, nous aurions faim au bout de quarante (huit) heures et les enfants réclament leur quatre heures. Faim de pain, de mouton de chorba, de thé à la menthe…. Le diable lui dit alors : « si tu es le Fils de Dieu, ordonne à cette pierre de devenir du pain. » Comment après 40 jours de jeûne ne pas avoir envie de changer les pierres en pain ?

Observons comment la tentation est formulée : « Si tu es le Fils de Dieu…. » Durant les trente années de sa vie privée, à Nazareth, Jésus n’avait certainement pas conscience de sa filiation divine. Il semble, c’est au moins ce que pensent certains théologiens, que cette conscience lui soit venue au moment de son baptême par Jean, dans le Jourdain, quelques jours auparavant « voici l’Agneau de Dieu »  ; «celui-ci est mon Fils bien aimé. » Une manière de dire que Jésus réalise qui il est et qu’elle est désormais sa mission. C’est cela qui l’a sans doute poussé à faire une retraite au désert. Il avait besoin de réfléchir, de prier et de se préparer à sa nouvelle vie. On comprend que, la faim aidant, il ait douté de sa mission ; « si tu es le Fils de Dieu change cette pierre en pain» lui susurre perfidement le tentateur ! »

A cette tentation Jésus répond en citant l’Ecriture ; « ce n’est pas seulement de pain que l’homme vivra. » (Dt 8, 3) Il vivra aussi et d’abord du respect de l’ordre de Dieu (l’ordre des choses, ce n’est pas que les pierres deviennent des pains), respect de sa parole qui a tout créé avant de tout donner à l’homme.

 

La seconde tentation est celle d’éviter la confusion entre voir et avoir. On n’est plus dans le désert, au ras des dunes ou de la pierraille, mais on s’élève, on change de point de vue. « Le diable le conduisit plus haut et lui fit, en un instant voir tous les royaumes de la terre. » Tentation d’avoir, de posséder tout ce que l’on voit, d’être plus que les autres, de dominer la terre ! Il y avait Babylone et ses jardins suspendus, au milieu de la riche Mésopotamie ; l’Egypte, ses pyramides et les grasses prairies fertilisées par le Nil ;  Rome, son orgueilleux Capitole, ses armées invincibles, ses provinces innombrables source de richesses immenses, affluant par bateaux entiers à Ostie. « Tout cela, est à moi lui dit le tentateur….si tu m’adores, tu l’auras tout entier.» Il n’avait pas tort, le désir de posséder tout ce que l’on voit, pour mieux dominer et écraser est proprement diabolique. La création de Dieu, si belle, faite pour tous, est accaparée par certains, et torturée, violentée, pour lui faire rendre toujours plus. Adoration de la richesse, source du pouvoir.

En commentant ce passage de l’Evangile, le théologien protestant allemand Karl Barth faisait cette analyse, avec beaucoup de finesse :

« Le prix exigé pour les royaumes de la terre, n’était nullement un reniement de Dieu, un passage à l’athéisme, mais seulement une petite révérence, une génuflexion discrète faite entre quatre yeux, devant le diable, la reconnaissance tranquille mais ferme, impossible à rétracter, que c’est lui qui a le premier mot et qui conserve le dernier mot dans ce royaume prestigieux, et qu’au fond, rien ne doit changer. » dans ce monde matériel gangréné par le mal.

Au diable dont le nom signifie qu’il est expert en duplicité, la réponse de Jésus est cinglante : « Tu adoreras le Seigneur ton Dieu et c’est à lui seul que tu rendras un culte.» Encore une citation de l’Ecriture (Dt 6, 13-14)

Adorer, c’est aimer plus que tout, plus que n’importe quelle richesse et rendre un culte ce n’est pas « aller au culte ». Rendre un culte, c’est répondre par l’amour à l’amour que l’on reçoit. Il serait bon que « ceux qui vont au culte » sachent aussi et surtout rendre un culte !

 

Après la tentation de la faim et de l’avoir, c’est celle de l’épreuve sans preuve : « Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas ». Après le désert et la haute montagne, c’est le Temple, résumé du ciel et de la terre, le Temple de la présence mystérieuse sur l’arche, avec les anges qui attendent au garde-à-vous. Fais confiance en Dieu déclare le Satan, les anges « te porteront sur leurs mains pour éviter que ton pied ne heurte la pierre. » Ici, nous dit encore Karl Barth, « le diable se montre beaucoup plus sérieux et persuasif : il se présente comme un homme pieux qui connait les Ecritures, il cite  le Psaume de David (91, 11-12)… il aurait voulu que Jésus exigea de Dieu qu’il fût le plus faux de tous les dieux, celui de « l’homme pieux .»

A cela Jésus répond, encore une fois, par l’Ecriture : « Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. » Ce faisant, au tentateur qui devait hésiter sur l’identité réelle de Jésus, il déclare qu’il est le Seigneur Dieu. En définitive, dans cette ultime réponse, Luc reprend ce qu’il avait dit dans le dernier verset de la généalogie ascendante de Jésus, juste avant la péricope que nous commentons : « ….Fils d’Enos, fils d Seth, fils d’Adam, Fils d Dieu. »

Vaincu, le tentateur « se retire de lui jusqu’au moment fixé, ou jusqu’à une autre occasion » selon une autre version de Luc. Jusqu’à l’ultime tentation, sur la croix : « si tu es le Fils de Dieu, sauve-toi toi-même », qui ouvrira sur la dernière victoire : « j’étais mort et je suis vivant. » (1 Co, 15, 55).

En définitive, les tentations du Christ n’ont donc été que des tentatives, les combats se sont terminés par la victoire, la mort a été vaincue par la Résurrection.

Et comme l’Evangile ne nous a pas été donné comme un pieux récit, mais pour éclairer notre vie aujourd’hui, il nous faut tirer la leçon de cette péricope. Jésus a été confronté à trois épreuves classiques qui s’enchaînent du reste, les unes aux autres :  le besoin de posséder, celui de dominer et le sentiment de toute puissance Nous sommes nous aussi affrontés à des tentations analogues : lorsque nous estimons que nos besoins de base ne sont pas satisfaits, lorsqu’il nous en faut toujours plus ; lorsque nous nous mettons en situation de dominer les autres et de les écraser ; lorsqu’il nous semble possible de nous passer de Dieu et de ne compter que sur nous même. A nous de voir quelles sont les tentations qui nous séduisent le plus….

Le récit de « Jésus victorieux de la tentation », ‘selon l’expression de la TOB) a été écrit  pour nous rassurer. Le Christ est passé par la tentation, comme nous, et il en est sorti vainqueur. Vous me direz que ça n’avance pas à grand-chose : « lui d’accord, mais moi …. ». C’est oublier que Jésus n’est pas seulement un héros à admirer : il est venu en ce monde pour nous donner sa Vie et son Esprit. Il nous a montré comment résister à la triple tentation : par la parole de Dieu. Luc, par ce récit nous invite à nous saisir de cette « parole », et à la méditer parce qu’elle est  force et  source de vie.

Et je terminerai  par cette citation de l’Epître de Paul aux Romains que nous venons de lire, tout à l’heure : « Tout près de toi est la parole, dans ta bouche et dans ton cœur…. Quiconque croit en lui ne sera pas confondu…. Quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé. » (Romains, 10, 8-13)

 

André Bonnery 10/03/2019