10/01/2021 Prédication André Bonnery

André BONNERY

Prédication à Carcassonne, dimanche 10 janvier 2021,

Lectures Es. 55, 1-11 ; 1Jn 5, 1-9 ; Marc  1, 7-11

Chants : 247 ; 230 ; 253.

 7[Jean le Baptiste] proclamait : « celui qui est plus fort que moi vient après moi et je ne suis pas digne, en me courbant de délier la courroie de ses sandales. 8Moi, je vous ai baptisé d’eau, mais lui vous baptisera d’Esprit Saint. »

9En ces jours là, Jésus vint de Nazareth en Galilée et se fit baptiser par Jean dans le Jourdain. 10A l’instant où il remontait de l’eau, il vit les cieux se déchirer et l’Esprit, comme une colombe descendre sur lui. 11Et des cieux vint une voix : « Tu es mon Fils bien-aimé, il m’a plu de te choisir. »

 

Prédication

Cinq courts versets de Marc sont proposés à notre réflexion, aujourd’hui. Courts, mais d’une grande richesse.

Nous sommes au tout début du ministère de Jésus. Pour Marc, jusque là rien ne s’est passé. Du moins, il n’a pas cru bon d’en parler. Pas d’annonce à Marie, pas de Nativité, pas de mages, pas de circoncision,  pas de massacre des innocents, ni de fuite en Egypte.

 

I -Le baptême de Jésus

Jésus adulte, quitte Nazareth et va au Jourdain se faire baptiser par Jean. Ainsi commence ce que l’on appelle sa vie publique. Jean baptisait des foules dans le Jourdain. Ce que j’admire chez lui c’est sa rigueur et l’absolue fidélité à sa mission. Quand je parle de rigueur, je ne veux pas faire allusion à son austérité de vie, mais dire que son succès auprès des foules qui accourent vers lui ne le fait pas dévier de sa mission. Le succès, ça tourne la tête. Il aurait pu se prendre pour quelqu’un de bien et, pourquoi pas, pour le Messie qu’il était chargé d’annoncer. Rien de cela. Il répète à qui veut l’entendre, qu’il n’est rien à côté de celui qui viendra après lui. Il n’est pas digne même de délier la courroie de ses sandales. Oui, vraiment Jean était quelqu’un de bien, tout à fit digne d’admiration, un exemple pour son intégrité et son effacement. Quelqu’un qui pourrait nous inspirer dans nos comportements. Pourtant, après l’avoir salué, comme il le mérite, c’est de « celui qui vient », que je voudrais parler.

Jésus accepte donc de se faire baptiser par Jean, comme les autres Juifs pieux qui accouraient au Jourdain. Baptême de conversion en vue du pardon des pêchés nous dit Marc. Cette démarche pose question. Jésus n’avait-il pas conscience de l’inutilité de ce baptême en ce qui le concerne ? Matthieu qui parle lui aussi du baptême de Jésus dans le Jourdain, donne une explication : A Jean qui s’oppose à ce baptême, Jésus fait la réponse suivant « laisse faire maintenant : c’est ainsi qu’il nous convient d’accomplir toute justice » (Mt 3, 15). Chez Matthieu, l’expression  « accomplir toute justice » signifie accomplir la volonté de Dieu (Mt 5, 6, 10-20 ; 6, 33 ; 21, 32). Par conséquent, Jésus ne veut pas se distinguer de ceux qui vont vers Jean pour recevoir le baptême de pardon. En acceptant de se faire baptiser, il veut marquer sa solidarité avec l’humanité pécheresse ; c’est ainsi qu’il accomplit toute justice. Matthieu anticipe ainsi le sens de la Passion du Christ qui a pris sur lui le pêché du monde pour nous rendre justes devant Dieu.

On notera  une différence sensible entre les évangiles de Marc et Matthieu en ce qui concerne l’intervention divine après le baptême. Selon Marc, c’est Jésus qui voit les cieux s’ouvrir et l’Esprit descendre sur lui comme une colombe et la voix s’adresse à lui : « Tu es mon Fils bien-aimé, il m’a plu de te choisir ». Il s’agit donc d’une relation entre le Fils et le Père

Matthieu semble sur-interpréter la scène. Certes Jésus seul voit l’Esprit descendre comme une colombe, cependant la voix ne s’adresse pas à lui mais à tous : « Celui-ci est mon Fils bien aimé, celui qu’il m’a plu de choisir ». Dans le premier cas, Jésus seul prend conscience de l’intervention de Dieu, dans le second, le message est public. La nuance n’est pas anodine.

 

II-Comment entendre l’expression Fils de Dieu ?

On la trouve parfois dans la Bible pour désigner le roi, les juges, des anges et même Israël en tant que peuple, mais c’est toujours de manière analogique ou dans le sens d’adoption. Par contre ce n’est pas un titre messianique car jamais le Messie n’est désigné comme Fils de Dieu. Alors, comment expliquer que le Père désigne Jésus comme son Fils, le jour du baptême au Jourdain ?

Dans le Nouveau Testament, comme dans l’Ancien, il n’y a qu’un Dieu, o theos, le Dieu. Jésus avait été perçu par les disciples comme son Christ, choisi par lui pour être son Messie, son messager. Après Pâques ils avaient très vite acquis la conviction qu’il n’avait pas été retenu dans la mort mais qu’il était vivant, ressuscité, « élevé » par Dieu, entré dans la vie éternelle. On se rappela alors quel attachement, quelle proximité avec Dieu le Nazaréen avait manifestée. Il parlait, agissait, pensait en intimité avec lui, si bien qu’il l’appelait son Père. De manière très logique, pour les disciples, celui qui appelait Dieu son Père était son Fils, et on commença alors à lui donner le titre de Fils de Dieu. La chose était d’autant plus évidente qu’un juif du temps de Jésus pouvait se représenter l’élévation auprès de Dieu comme l’intronisation d’un roi d’Israël. De même que celui-ci était institué « Fils de Dieu » (c’est le titre qu’on lui donnait) par son  élévation sur le trône, de même, Jésus crucifié et  ressuscité,  élevé auprès de Dieu pouvait être appelé son Fils. Les disciples qui continuaient à aller au temple et à chanter les Psaumes de la liturgie juive pouvaient ainsi interpréter dans un sens messianique le Psaume d’intronisation 110 : « oracle du Seigneur à mon Seigneur : siège à ma droite » (v.1). Ils pouvaient en même temps répondre à ceux qui les interrogeaient : « mais  où est le Ressuscité ?:  Il est auprès de Dieu son Père, assis à sa droite ». Il est avec lui, non pas dans une communauté métaphysique d’Être, mais dans une communauté de trône. Le Royaume de Dieu et le Royaume annoncé par le Messie : « mon Royaume », devenaient pour les disciples, après Pâques, une seule et même réalité.

L’investiture de Jésus, le Messie crucifié et élevé comme Fils auprès du Père fait sans doute partie du message le plus ancien prêché par les disciples de Jésus.

Dans le Ps 2, autre psaume d’intronisation, le Messie-Roi est explicitement appelé Fils « Tu es mon Fils, aujourd’hui je t’ai engendré. »(v.7) Engendré est ici synonyme d’intronisé. Dans les Actes des Apôtres, ce Psaume est repris et appliqué désormais à Jésus, par Pierre qui conclut son discours par ces mots : « Que toute la maison d’Israël le sache donc avec certitude : Dieu l’a fait Seigneur et Christ, ce Jésus que vous aviez crucifié » Actes 2, 36).

Voilà pourquoi, dans l’une des plus anciennes confessions de foi qui sert d’introduction à l’Epître aux Romains, il est dit que « [Jésus-Christ] est établi, selon l’Esprit Saint, Fils de Dieu avec puissance par sa résurrection des morts. » (Rm 1, 4)

Il n’est nullement question d’un engendrement physique dans le Nouveau Testament comme c’était le cas pour les héros divinisés de la mythologie antique. Il n’est pas non plus question d’un engendrement métaphysique comme la doctrine de l’Eglise forgée au IVe siècle s’est efforcée de l’établir dans des définitions dogmatiques élaborées à l’aide concepts de la philosophie grecque. On ne peut reprocher aux Pères de l’Eglise d’avoir voulu exprimer, de manière intelligible pour la raison, la foi en la divinité de Jésus. On ne nous demande pas de croire en faisant fi de l’intelligence. Ils se sont donc efforcés d’exprimer cette foi en utilisant l’outillage conceptuel qui était alors à leur disposition, celui de la philosophie néoplatonicienne. Ils ont donc déclaré que le Fils est « de même nature que le Père, engendré, non pas créée » et qu’il était l’une des trois  « hypostases » ou personnes de la Trinité. On a dit, en guise de boutade que Jésus avait prêché une Bonne Nouvelle et que l’Eglise avait créé des dogmes…

Pour lumineuse qu’elle soit, la philosophie grecque est le produit d’une civilisation. Peut-elle, de manière définitive servir à l’explication de la profondeur et de la richesse du Dieu indicible ? Force est de constater que les dogmes n’ont pas pour autant réussi à empêcher la persistance des  hétérodoxies  christologiques. Tout en respectant les définitions dogmatiques qui servent à l’expression de la foi des Eglises chrétiennes, il est bon d’interroger directement l’Ecriture. Que nous dit-elle ? Que la filiation divine, selon le Nouveau Testament, est exprimée comme une élection de Jésus par le Père : « Il m’a plu de te choisir » (Mc 1, 11). Une élection comme Christ et Messie, par Dieu qui lui remet les pleins pouvoirs. C’est tout à fait dans l’esprit de la Bible hébraïque. La foi juive en un Dieu unique, ne s’opposait pas à cette conception de la filiation divine de Jésus. Dans le cas contraire, la communauté primitive des disciples composée de Juifs pieux et de judaïsants, ne  l’aurait jamais soutenue.

 

III-« Aujourd’hui. »

Reste une question. A quel moment Jésus a-t-il été élu par Dieu comme Fils? Selon Pierre, dans les Actes citant le Ps 2, c’est avec la Résurrection d’entre les morts C’est également ce que dit Paul dans l’Epitre aux Romains « il est établi Fils de Dieu, selon l’Esprit-Saint, avec puissance par sa résurrection des morts » (Rm, 1,4). Mais, pourquoi Dieu appelle-t-il Jésus son Fils lors du baptême, selon Marc et Matthieu ? Luc (3, 22), plus explicite encore, cite le même Ps 2,  7 « Moi, aujourd’hui, je t’ai engendré » c'est-à-dire, en ce jour de ton baptême, je te choisis pour Fils. Et pourquoi l’élection n’aurait-elle pas eu lieu au moment de sa conception ? « Il sera grand, il sera appelé Fils du Très-haut » (Luc 1, 32).

Alors, y a-t-il contradiction entre toutes ces dates ? Non si l’on veut bien considérer qu’en Dieu il n’y a pas de temps. Le choix de Jésus comme Fils, Christ et Messie, pour une communauté de règne, est de toute éternité…. Même si, incontestablement, les apôtres et l’Eglise primitive ont pris conscience de la filiation divine de Jésus, après que Dieu l’ait ressuscité d’entre les morts.

Croire au Fils de Dieu, signifie croire en la révélation du Dieu un dans l’homme Jésus de Nazareth qui est Verbe et image  de Dieu, ce Dieu unique qu’il appelle son Père. Si la filiation divine de Jésus était expliquée dans son sens scripturaire originel, et non pas dans le sens métaphysique développé par les conciles du IVe siècle, qui n’est pas toujours très bien compris, alors le monothéisme, juif ou musulman, aurait sans doute moins d’objections fondamentales à élever contre cette filiation.