14/02/2021 Prédication André Bonnery

Prédication à Carca. 14.02.21

Textes Marc 1, 40-45 ; I Co 10, 31-11,1

Chants : 408 ; 230 ; (618) ; 542.

 

Introduction.

L’Evangile de Marc, que l’on lit depuis quelques dimanches, et qui va nous accompagner en début de Carême, est le plus ancien des quatre Evangile. On peut dire qu’il est l’inventeur du genre littéraire « évangile » dans lequel le récit de la vie de Jésus vient en complément et en illustration de la prédication chrétienne primitive. Il est aussi le moins élaboré, celui qui est le plus proche sans doute de la saveur première de cette prédication. Alors que Jean situe le début de son récit en Dieu et que Luc et Mathieu optent pour un déroulement chronologique depuis la naissance, Marc commence avec l’annonce de la Bonne-Nouvelle de Jésus adulte « Commencement de l’Evangile de Jésus-Christ, Fils de Dieu » (Marc 1, 1).

 

I - La purification d’un lépreux

La prédication de Jésus débute en Galilée où il  établit ses quartiers à Capharnaüm. Elle rencontre tout de suite un grand succès : on était frappé par l’autorité de son enseignement (1,22) et subjugué par les guérisons qu’il accomplissait (1, 29-33). Voilà quelqu’un qui parle bien et qui, en outre, guérit efficacement et gratuitement toutes sortes de maux. C’est inespéré pour le petit peuple de la province juive. Pierre qui héberge Jésus dans sa maison  lui déclare « tout le monde te cherche » (1, 37), alors qu’il s’est éclipsé un peu pour échapper aux sollicitations et prier (1, 35).

Est-ce pour répondre à la sollicitation de Pierre ? Jésus quitte Capharnaüm et va vers les autres bourgades de Galilée (1, 39). C’est alors que, sur sa route surgit un lépreux qui s’approche de lui. Un lépreux, autrement dit, quelqu’un légalement impur qui contrevient sciemment aux règles de distanciation en vigueur à l’époque. On ne dit pas comment réagit l’entourage de Jésus mais ce doit être l’indignation. La loi est claire : Je cite le Lévitique 13, 45-46 « Le lépreux doit avoir ses vêtements déchirés, ses cheveux défaits, sa moustache recouverte (il porte un masque sous le nez) et il doit crier impur, impur. Il est impur aussi longtemps que dure le mal qui l’a frappé ; il habite à part et établit sa demeure hors du camp. » A l’impureté légale  s’ajoutait la crainte de la contagion, d’où cette exclusion, cette mise à l’écart sociale, faisant de lui une sorte de mort en sursis

Il faut un certain courage pour briser un tabou et contrevenir publiquement à la loi. C’est ce que fait pourtant  ce malheureux. Pourquoi fait-il cela ? Parce qu’il a entendu dire que l’homme de Nazareth guérissait toutes sortes de maladies. Or, il était là, tout proche. Alors, il a pensé pourquoi pas moi ? Il se précipite donc aux pieds de Jésus et lui déclare : « si tu le veux, tu peux me purifier » Est-ce un acte de foi ou plutôt une démarche motivée par un espoir insensé : si cet homme fait des prodiges il faut que j’aille à lui ; j’ai tout à y gagner et rien à perdre, sinon d’être houspillé par les gens, mais j’y suis habitué… Et ça marche : « pris de pitié, dit Marc, « Jésus étendit la main et le toucha ».

 

2 - Trois verbes pour préciser l’intervention de Jésus.

- Pris de pitié. Jésus se projette vers celui qui crie sa misère. Il s’assimile à lui, il est « pris de pitié » instinctivement, viscéralement. Ce faisant, il révèle à ce pauvre homme qui se tient devant lui, partagé entre la crainte et l’espoir, ce débris d’humanité rejeté par tous, qu’il existe pour quelqu’un.

-Il étendit la main. Autre verbe. Jésus ne se contente pas de sentiments. Il va vers celui qu’il faudrait fuir. Il passe aux actes.

- Il le toucha. Troisième verbe. Le tabou est brisé, quelqu’un a pris physiquement contact avec lui. Cela ne lui était sans doute pas arrivé depuis qu’il était frappé par ce mal redoutable.

En ces temps de pandémie, je ne veux pas appeler au non respect des gestes barrières, en soulignant la démarche de Jésus vers le lépreux. Pas du tout. Je veux seulement montrer ce que nous devons imiter dans l’attitude de Jésus : d’abord son regard d’empathie vis  à vis de la détresse de ses frères humains, il est ému par leur maladie, leur solitude et le rejet dont ils sont l’objet ; ensuite il va vers eux et il fait quelque chose pour eux. C’est cette démarche qui est fondamentale.

Il faut se réjouir de ce que notre paroisse ait choisi de poursuivre la distribution de soupe et de repas substantiels à ces femmes et à ces hommes de notre ville, sans abris, ou en situation d’extrême précarité : ils sont un peu les lépreux de notre temps, démunis de tout, en marge de la société, réduits au silence. En allant vers eux nous observons des gestes barrières mais avec humanité. C'est-à-dire que ces gestes ne sont pas un prétexte pour empêcher l’humanité de s’exprimer.

De la même manière, alors que le masque n’est pas fait pour faciliter la communication, loin de là, il importe d’avoir le souci de ne pas en profiter, en le portant, pour nous couper des autres. Un regard, un sourire même caché par le masque, peuvent en dire long sur notre volonté d’établir la communication. Un petit geste de la main, un mot sympathique sont certainement aussi porteurs d’humanité qu’une embrassade ou une poignée de main. Alors ne nous en privons surtout pas. C’est à cela que nous invite la lecture de la rencontre de Jésus avec le lépreux, sur les routes Galilée. Que les règles qui nous sont imposées par les prescriptions sanitaires en vigueur dans notre pays ne soient pas un prétexte pour nous dispenser de suivre Jésus dans la manière dont il regarde ses frères en humanité, et pour poser les actes qui traduisent cette fraternité.

La compassion de Jésus, son empathie vis-à-vis du lépreux, a porté ses fruits : « Je le veux, sois purifié. A l’instant la lèpre le quitta et il fut purifié ». Aujourd’hui, nous avons des moyens de guérir la lèpre, nous disposons des remèdes pour cela, encore que dans certains pays, elle sévit toujours à cause de la misère matérielle et de la malnutrition. Mais, si nous sommes lisons  cet Evangile chez nous, aujourd’hui, ce n’est pas pour rappeler une guérison accomplie jadis, par Jésus, c’est pour voir en quoi ce récit nous concerne. Car le Christ est notre norme, notre référence. Ce récit n’est pas une anecdote, il est  proclamé pour nous rappeler que l’exclusion, cette autre lèpre moderne sévit plus que jamais dans notre société. Un chrétien ne peut y être insensible. L’exemple de Jésus nous rappelle  notre devoir d’humanité. Nous aussi, nous pouvons, à notre manière, faire des miracles. De vrais miracles. Pour cela, il faut se poser la question : qui sont ceux que j’exclue, quels sont mes lépreux ?... Alors peut-être apparaitra la réponse : de quelle manière vais-je manifester mon empathie, ma solidarité et la traduire  par des gestes de fraternité ?

 

3 - S’irritant contre lui.

On voudrait bien arrêter le commentaire de cette péricope ici. Jusque là, tout est logique : la compassion de Jésus, la leçon d’humanité qu’il nous donne. Mais voilà que ce premier sentiment spontané d’empathie est suivi d’un autre : l’irritation. Mot à mot : « et, s’étant emporté contre lui, aussitôt il le jeta dehors ». Il faut bien prendre en compte ce changement d’attitude et tenter de le comprendre et de l’expliquer. Question de fidélité au texte !

En fait, il s’agit d’une constante chez le Jésus de Marc : on appelle cela « le secret chez Marc ». Cette attitude de Jésus se retrouve plusieurs fois dans cet Evangile et pas dans les trois  autres. C’est l’un des exemples de ce caractère primitif de la tradition dont Marc est le témoin et que j’ai évoqué au début). Jésus ne recherche pas la publicité à la suite des guérisons qu’il opère, au contraire il demande la discrétion, sans doute parce qu’il redoute que les gens ne s’arrêtent qu’à l’aspect spectaculaire de  son pouvoir et ne se trompent sur le sens profond  de sa  mission. Il n’est pas un magicien faiseur de miracles, il est venu révéler aux hommes l’amour de Dieu pour l’humanité. En ce qui concerne le lépreux, il n’a pas perçu chez lui un acte de foi, mais une demande de salut matériel. Il l’accorde par compassion mais cela l’indispose car il n’a pas pu l’amener à s’interroger sur le sens de sa guérison. D’où son irritation.

Ensuite, après l’avoir guéri, purifié, dit l’Evangile, ll renvoie l’homme. Il ne s’agit pas cette fois d’un signe d’agacement de la part de Jésus, mais ce renvoi vise à réintégrer le lépreux désormais purifié dans la société. Selon la loi mosaïque, en effet, les prêtres étaient habilités à constater la guérison des lépreux pour qu’ils puissent participer à la vie sociale. Comme le disait encore Charles Klagba, notre pasteur, dans sa prédiction dimanche dernier, la guérison d’une maladie, signe  d’exclusion, est toujours un acte de réintégration. Mais Jésus ne recherche aucune publicité : il ne veut pas être perçu comme un faiseur de miracles (son agacement vient de là). Mais Il n’est pas entendu : une fois parti, l’homme guéri se mit à proclamer bien haut et à répandre la nouvelle ». Le résultat, selon Marc est désastreux : « Jésus ne pouvait plus entrer ouvertement dans une ville mais il restait dehors en des endroits déserts. » (v. 45). Voilà le résultat d’une publicité bien malencontreuse !

 

Conclusion

Cette dernière observation est capitale pour nous : elle nous appelle à ne pas pervertir le sens du message de Jésus. Il y a une manière de le présenter qui peut le déformer. Nous sommes invités à lire l’Evangile avec discernement, en recherchant, avec l’aide de l’Esprit, en quoi la Bonne Nouvelle nous interroge aujourd’hui, et comment elle nous invite à nous transformer pour agir selon l’esprit de Jésus.

AMEN