28/03/2021 (Rameaux) prédication André Bonnery

Les Rameaux, prédication à Carcassonne le 28 mars 2021

A. Bonnery

Lectures : Esaïe 50, 4-7 ; Philippiens, 2, 6-11 ; Marc 11, 1-11

Chants : 403 ; 442 ; 408.

 

Une fête paradoxale.

Le jour des Rameaux où l’on célèbre l’entrée « triomphale » de Jésus à Jérusalem est une fête paradoxale. D’un côté il y a la joie et les cris d’enthousiasme de la foule qui accueille Jésus, d’un autre se profile la passion douloureuse et les cris d’une autre foule, la même en partie peut-être : « A mort, à mort, crucifie-le ».

Et le paradoxe se poursuit tout au long du récit. Du point de vue topographique d’abord : Jérusalem, Bethphagé, Béthanie, le Mont des Oliviers. Ce sont les lieux de la marche vers le triomphe, mais ce sont aussi les étapes de la Passion dans quelques jours : Jérusalem où sera prononcée la sentence de condamnation et réalisée la crucifixion ; Bethphagé (« la maison des figues » en hébreu) où Jésus maudira le figuier qui ne porte pas de fruits ; Béthanie lieu où eut lieu l’onction faite par Marie, la pécheresse, préfiguration de l’embaumement ; le Mont des Oliviers, le lieu de la prière, la nuit de l’arrestation.

Paradoxale également cette étrange mise en scène du triomphe. Paradoxale si on la compare au triomphe des empereurs romains pénétrant dans Rome pour célébrer une victoire sur les peuples vaincus, montés sur un cheval fringant, caparaçonné d’or, revêtus de leur rutilant costume d’imperator, escortés par une armée victorieuse et une foule de captifs, acclamés par les Romains ébahis du spectacle, accueillis par les sénateurs devant le Capitole.

 

Un bien modeste triomphe….

En comparaison, il est bien modeste le triomphe de Jésus. Il ne possède même pas le petit âne sur lequel il va s’asseoir, il est obligé de demander à deux de ses disciples d’aller le quérir dans le village voisin. La démarche est d’ailleurs surprenante : « vous verrez un ânon attaché près d’une porte, dans la rue ; détachez-le et si quelqu’un vous dit : pourquoi faites-vous cela, répondez : le Seigneur en a besoin et il le renvoie ici tout de suite ». Le narrateur ne se préoccupe pas de la réaction du propriétaire à la curieuse explication qui lui est donnée. Voilà en tous cas un étrange roi, démuni de tout, qui ne possède même pas une monture convenable, pourtant c’est bien comme roi que les habitants de Jérusalem l’acclament : « Béni soit le règne qui vient, le règne de David notre père ! ». Sans doute espéraient-ils que ce Jésus dont on parlait tant dans tout le pays, qui accomplissait tant de merveilles, qui en imposait aux chefs de la Nation auxquels il n’hésitait pas à s’opposer, allait enfin réaliser l’attente du peuple : instaurer un royaume puissant comme celui de David et chasser l’occupant détesté, ces Romains arrogants et cupides qui spoliaient la nation. D’accord, il n’est pas bien brillant ce roi, les notables ne lui ouvrent pas les portes de la ville et ne viennent pas à sa rencontre, mais il faut un début à tout, il faut bien essayer, lui mettre le pied à l’étrier et le propulser. Un pronunciamento ce jour des Rameaux ? Sans doute certains rêvaient de cela… la plus part, prudemment… Il faudra voir comme les choses vont tourner !

 

…. mais riche de signification.

En réalité  le narrateur de cet épisode ne veut pas présenter Jésus comme un roi à qui la gloire matérielle est promise : il ne veut pas qu’on s’y trompe. Derrière cette mise en scène pseudo triomphale, se profile la prophétie messianique de Zacharie 9, 9 « Crie de joie, fille de Jérusalem ! Voici que ton roi vient à toi : il est juste et victorieux, humble monté sur un ânon, le petit d’une ânesse.» Vous voyez le paradoxe : comment peut-on être victorieux en étant juste. En règle générale, on est victorieux si on écrase les autres ; quant on parade sur un ânon, on est tout sauf un général vainqueur !

Marc, dans sa mise en scène de l’entrée « triomphale » de Jésus à Jérusalem induit clairement l’image du Messie que l’on doit attendre. Il ne veut pas la gloire matérielle, il ne souhaite qu’une chose : être attentif aux pauvres et à leur misère. On ne voit pas les choses de la même façon quand on caracole sur un fringuant coursier et quand on avance à hauteur du commun des mortels, sur le dos d’un ânon. Certes, la foule brandit des palmes mais ce ne sont pas des armes. Le Messie s’adresse aux artisans de paix, il condamne la violence meurtrière. Ce n’est pas un tapis rouge qu’on déroule devant lui comme devant les puissants à la descente de l’avion ; ce sont les vêtements dont on se dépouille. Belle image, du reste : pour suivre Jésus, il faut laisser un peu de soi sur le chemin pour s’alléger et accueillir son message sans se laisser encombrer par les futilités de la vie qui alourdissent et pèsent sur les épaules.

Le récit de l’entrée de Jésus à Jérusalem se termine chez Marc de curieuse et paradoxale manière : « il entra dans le temple. Après avoir tout regardé autour de lui, comme c’était le soir, il sortit pour se rendre à Béthanie avec les Douze. » Bien sûr, aucun des notables n’est venu l’accueillir à l’entrée de la demeure sainte. Et la foule qui acclamait, où était-elle passée ? Peur de se faire remarquer par les autorités et les « renseignements généraux » de l’époque… ? Et que signifie cet énigmatique « après avoir tout regardé autour de lui » ? Qu’a-t-il vu, ou que n’a-t-il pas vu ? A-t-il été révulsé par l’affairisme qui régnait dans le lieu, avant la grande fête de Pâques ? C’est peut-être bien cela qu’il a regardé car, le lendemain, selon Marc, il reviendra pour remettre un peu d’ordre dans ce grand bazar, (v 15 à 19)

 Une chose est certaine, Jésus s’est retrouvé seul avec les Douze, pour peu de temps encore fidèles, après cet enthousiasme en forme de feu de paille, et il est retourné chez ses amis de Béthanie, Marie, Marthe et Lazare, en empruntant le chemin encore jonché de quelques feuillages, fugace souvenir d’un éphémère triomphe….

Et le petit âne ? (Les enfants y pensent, j’en suis sûr, si vous les adultes n’y pensez plus). J’imagine que Pierre, passablement désabusé, tête basse, a dû le ramener à son propriétaire en bredouillant des excuses et un remerciement.

 

 De la semaine de la Création à la Semaine pascale.

Et pourtant, avec ces événements de Jérusalem commençait une semaine capitale dans l’histoire de l’humanité, dont personne n’avait conscience à l’époque, mais qui allait bouleverser la destinée du monde. Nous l’appelons aujourd’hui la Semaine-Sainte parce qu’elle a scellé la réconciliation des hommes et même de la Création entière avec Dieu. Un événement, si l’on y songe, encore plus fantastique que le Big-Bang et que tout ce qui a suivi. La réconciliation du Créateur avec ses créatures.

Cette semaine est l’antithèse ou plutôt l’aboutissement, prévu par Dieu, de toute éternité de cette autre semaine (ici le mot de semaine n’a pas valeur chronologique mais cosmologique) : celle de la Création du monde. Ce rapprochement audacieux est suggéré par Marc lui-même qui met dans la bouche de la foule acclamant Jésus ces versets du Psaume 118 : « Voici le jour que le Seigneur a fait/ qu’il soit notre bonheur et notre joie/… Béni soit celui qui entre au nom du Seigneur/ Le Seigneur est Dieu et il nous a donné la lumière » (v. 24, 26).

Et oui, le premier jour de la Création, Dieu dit : « Que la lumière soit et la lumière fut ». Le jour des Rameaux, premier de la Sainte Semaine les gens de Jérusalem acclament, dans la joie, avec le Psaume 118 celui qui « entre au nom du Seigneur et nous donne la lumière. » Jour de bénédiction, comme celui de la Création que Dieu a voulu belle et bonne.

Avec les rameaux et les palmes et l’ânon détaché qui avance, avec les vêtements de lin ou de laine jetés sur le chemin au passage de « celui qui vient au nom du Seigneur », n’est-ce pas toute la Création, animaux et végétaux qui acclame son Seigneur et créateur ?

Au sixième jour, après le ciel et la terre et tout ce qui les peuple, l’homme fut créé et placé dans le paradis terrestre. Au sixième jour de la sainte semaine, le Nouvel Adam, l’homme parfait selon le dessin de Dieu, la véritable image du Père, jugé, condamné, mis en croix, portant sur lui le pêché du monde, est reconnu par un païen, un officier romain anonyme : « Cet homme était vraiment le Fils de Dieu. » Cette profession de foi tardive a les accents d’un regret, d’un rendez-vous manqué avec l’histoire, le rendez-vous de l’homme avec son Créateur.

Et pourtant, c’est sur la croix, ce sixième jour d’une semaine unique, exceptionnelle, dans toute l’histoire de l’humanité passée et à venir, qu’est révélé le vrai visage de Dieu, non pas celui d’un Dieu tout Puissant, mais celui d’un Dieu fait homme, humilié, rabaissé, torturé en qui tout homme, au plus dur de sa condition, est rejoint par l’amour d’un Père pour son enfant. Un Père qui assume, en son Fils la condition de l’homme pour lui redonner vie et espoir.

Le septième jour, de la grande semaine cosmique, après avoir créé toutes choses et vu que tout cela était bon, Dieu se reposa. Le septième jour de la semaine suivant l’entrée de Jésus à Jérusalem, le Christ reposait dans le tombeau, vaincu au sentiment de tous, désavoué, humilié, abandonné. C’est précisément dans cette situation désespérée que Dieu intervient au matin de Pâques, en relevant son Fils d’entre les morts. La vie l’a emporté, la mort est vaincue, la lumière s’est levée, l’espoir est re-né pour toujours. L’œuvre de la Création contestée par le Mal et la mort est parachevée par Dieu qui a eu le dernier mot.

 

 Vraiment cet homme est le Fils de Dieu.

Voilà la grande, la Bonne Nouvelle de cette semaine qui s’ouvre avec le dimanche des Rameaux. Jésus acclamé par une foule qui cherchait sans doute un libérateur politique à usage local, Jésus abandonné de tous, même de Dieu apparemment (« pourquoi m’as-tu abandonné ? »), Jésus enfermé mort dans le tombeau… Ce Jésus s’est relevé, vivant par la puissance du souffle créateur de Dieu. Alors, nous pouvons reprendre l’acclamation du jour des Rameaux « Hosanna, (« viens en aide » en hébreu), béni soit le règne qui vient » ; acclamation suivie de la profession de foi du centurion, mais mise au présent, pour lui donner sa pleine signification : « vraiment, cet homme (non pas « était », avec ce sentiment d’être passé à côté de quelque chose de capital, mais) EST, pour toujours, le Fils de Dieu, notre Sauveur. »

AMEN.