« Christ est vraiment ressuscité »

(Une réflexion d’André BONNERY pour le temps de Pâques)

 

Une vraie question pour l’histoire

Aux origines du christianisme on trouve une énigme historique sans précédent dans l’histoire des religions : l’expansion explosive du message du Christ après un échec total. Quelques mois de prédication semblent avoir lamentablement échoué, même auprès de ceux qui avaient été séduits par l’enseignement prodigué par leur maître. Sitôt arrêté, condamné par les autorités civiles et religieuses, mis à mort dans des conditions ignominieuses, ses amis se débandent et se font oublier. Pourtant, du gibet du Golgotha est sortie une religion universaliste qui a eu des répercussions immenses dans le monde. Les conditions sociales ou psychologiques du moment n’expliquent pas tout, c’est pourquoi Il convient de s’interroger sur le témoignage de ceux qui, un moment désemparés par le départ de leur maître, sont à l’origine de ce formidable mouvement spirituel. Le récit de la Passion avec son issue catastrophique a été transmis parce qu’il a été suivi du récit de la Résurrection qui a éclairé le précédent d’une lumière nouvelle.

Ces récits ne sont pas des rapports circonstanciés des événements, au sens moderne du mot, mais des témoignages de gens engagés qui ont eu foi en Jésus, ressuscité trois jours après qu’il fut mis au tombeau ; « Si Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est vaine, vaine aussi votre foi. »(I Co 1, 14) Ainsi Pâques apparait comme la base constitutive de la foi chrétienne.

Pourtant, de prime abord, la résurrection peut apparaître comme un obstacle pour l’homme moderne, dans la mesure où elle contredit aussi bien la pensée scientifique que l’expérience humaine. La vraie question est de savoir si on peut placer la résurrection de Jésus sur le même plan que les autres éléments de la tradition chrétienne primitive, à connotation mythique : la nativité, l’adoration des mages, la fuite en Egypte, les Évangiles de l’enfance en générale, puis la descente aux enfers et l’ascension qui sont mentionnés dans les Écritures et dans le Symbole des apôtres.

 

Une certitude pour ceux qui ont vu le Ressuscité.

L’affirmation de la résurrectionappartient aux couches les plus anciennes de la tradition néotestamentaire et on la retrouve proclamée par tous les écrits du Nouveau Testament sur un demi-siècle, c'est-à-dire pratiquement deux générations. On a parfois objecté qu’il n’y a pas de témoignage direct de la résurrection en ce sens que personne n’y a assisté. De fait, elle n’est jamais décrite, sinon dans un texte non canonique du second siècle, l’Évangile de Pierre. Autre difficulté : on relève dans les récits de Pâques des divergences et des contradictions parfois insolubles. Visiblement, les rédacteurs ne se soucient ni de l’intégralité des faits, ni de leur succession chronologique, même pas d’une vérification historique.Tout cela montre que, pour eux, l’important est ailleurs. Le temps, le lieu, les modalités, toutes choses qui pour un chroniqueur contemporain pointilleux seraient importantes, est secondaire par rapport au fait même de la résurrection qui n’est jamais mise en cause par les différentes sources.

On ne peut nier la résurrection parce que les textes en parlent de manière métaphorique. En effet, il n’est possible de l’évoquer que par des métaphores : « surgir » « se lever », « se réveiller », car elle n’est pas un retour à la vie d’avant, la vie terrestre et mortelle. Paul parle du corps ressuscité comme d’un « corps spirituel » (1 Co, 15, 44). Elle est le passage à un état tout à fait différent, à une vie autre, totalement autre, totaliter aliter. L’imprécision des termes pourrait même être signe de l’authenticité d’un témoignage que l’on ne parvient pas à formuler parce qu’il n’existe pas de mots pour le traduire vraiment. Par exemple Luc, (24, 41), à propos des disciples qui découvrent le Ressuscité, utilise cette expression étonnante : « incroyants à cause de la joie »(apistoutôn autôn apo tês karas).

Comment se représenter l’existence de ressuscité ? Il n’y a pas de réponse. Rien à figurer ou à décrire. Seuls les symboles et les métaphores peuvent tenter de dire ce qui échappe à toute évocation. Comme de Dieu lui-même nous n’avons de la résurrection aucune connaissance directe. Voilà pourquoi les évangélistes qui en parlent le font avec des métaphores paradoxales. Les apôtres le prennent pour un fantôme : « effrayés et remplis de crainte ils pensaient voir un esprit » (Luc 24,37), pourtant il les invite à vérifier tactilement qu’il a un corps, il parle et il mange (v. 39-40). Par contre Marie-Madeleine ne peut le toucher (Jean 20, 16), mais Thomas y est invité (Jean, 20, 27). On le reconnait et on ne le reconnait pas ; il est visible et invisible ; tangible et intelligible ; matériel et immatériel. Il est ici et au-delà de l’espace et du temps. (Lire les récits évangéliques des apparitions).

La foi en la Résurrection doit s’interpréter comme une radicalisation de la foi au Dieu créateur. Par résurrection, il faut entendre victoire sur la mort par le fait du Dieu créateur pour qui rien n’est impossible.« Dieu l’a ressuscité » déclare Pierre dans son discours le jour de la Pentecôte (Actes 2, 24). Il ne s’agit pas d’un fait imaginaire mais réel, au sens le plus profond du terme : une certitude. Il n’est pas exact de dire que rien ne s’est passé au matin de Pâques et que tous ces récits sont mythiques, mais force est de reconnaitre que ce qui est arrivé transcende les limites de la science. La résurrection de Jésus renvoie à une forme d’existence nouvelle. Elle n’est pas objet de connaissance rationnelle, elle n’est pas irrationnelle non plus. Lorsque Luc raconte l’épisode de la rencontre de deux disciples sur le chemin d’Emmaüs avec le Ressuscité qu’ils ne reconnaissent pas, il attribue à Jésus un discours qui tente de montrer que sa résurrection avait quelque chose de logique dans la perspective de l’histoire d’Israël (Luc 24, 25-27). Pierre ne dira pas autrement dans son discours à la Pentecôte (Actes, 2, 29-36) dont la rédaction est attribuée au même Luc. Notons que si cette argumentation a sans doute ébranlé les deux disciples, elle n’a pas suffi à les convaincre qu’ils avaient devant eux le Ressuscité ; il a fallu un plus : « que leurs yeux s’ouvrent », et ce fut alors une évidence : c’est bien lui. Alors « ils le reconnurent ». Mais c’est précisément à ce moment « qu’il leur devint invisible » (Luc 24, 30-32). On a, dans ce court récit,un bel exemple de ce qu’est la foi en la résurrection : elle relève d’une évidence qui est au-delà du raisonnement.

 

Jésus ne vit pas parce qu’il est prêché, mais il est prêché parce qu’il vit.

S’il est exact que la résurrection est un événement qui ne peut être saisi par l’investigation historique scientifique au sens moderne du mot, on ne peut pas dire pour autant que Jésus vit uniquement dans le message qu’il a laissé et qui reste attaché à son nom, un peu comme Victor Hugo vit dans son œuvre, Les Misérables ou Gustave Eiffel dans sa fameuse tour. Pour Jésus, il s’agit de bien autre chose : sa résurrection est une réalité factuelle expérimentée par ses disciples qui en témoignent. Jésus ne vit pas parce que les disciples croient qu’il est vivant, mais il vit par l’action de Dieu ; ils en ont l’intime conviction. Si l’on se réfère à la célèbre formulation de Bultmann qui, selon lui-même, prête à malentendu, (Das Verhältnis der urchristlichen Christusbotschaft zum historischen Jesus, Heidelberg, 1960, p. 27) « Jésus est ressuscité en entrant dans le kerygme » . En réalité, Jésus ne vit pas parce qu’il est prêché, mais il est prêché parce qu’il vit. Voici donc le message et la foi de Pâques, difficiles à accepter par les auditeurs de Paul à Athènes : « nous t’entendrons une autre fois sur ce sujet » (Actes. 17, 32). Pourtant ces résistances n’ont pas empêché la propagation du message.

Le plus ancien témoignage pascal qui nous soit parvenu, se trouve dans la lettre de Paul (I Co 15, 1-9) qui fut écrite vers l’an 54. Il est d’une extrême concision et donne un minimum d’informations : aucune description, aucune donnée de temps en dehors des trois jours, ni de lieu. Même sobriété dans le plus ancien récit pascal des Évangiles, celui de Marc 16, 1-8, écrit entre 65 et 70, qu’il faut distinguer de la finale de Marc (16, 9-20) que tous les exégètes reconnaissent comme plus tardive et recopiée de Matthieu et Luc. Tout le monde s’accorde aussi pour estimer que la finale primitive de Marc 16, 8 est tronquée. Il est probable que le document disparu devait relater, comme Matthieu ou Luc les apparitions du Ressuscité en Galilée. En effet, Matthieu et Luc contiennent des ampliations du récit de la Résurrection dues, notamment, à des considérations apologétiques. L’Evangile de Jean, le plus tardif, mis en forme à la fin du Ier siècle, contient d’autres éléments et d’autres thèmes qui ne sont pas dans les synoptiques.

De cette évolution de la tradition pascale sur près d’un demi-siècle, on peut déduire que l’état des sources ne permet pas de se prononcer sur l’exactitude strictement historique, au sens moderne du mot, des nombreux développements, infléchissements et arrangements subis par le message pascal, ce qui n’exclue pas la réalité fondamentale des faits rapportés. Ce qui est capital et qui est attesté par tous les témoins, c’est leur profonde conviction que le Jésus qu’ils ont vu, arraché à la mort par la puissance de Dieu, vit désormais d’une vie nouvelle.

 

Sur quoi repose la foi des apôtres en la Résurrection ?

Comme on l’a dit, le plus ancien témoignage de la résurrection de Jésus, celui de Paul (1 Co 15), ne fait pas allusion au tombeau vide, mais Paul, juif orthodoxe, formé à Jérusalem par Gamaliel, avait une conception de l’unité du corps et de l’esprit telle qu’il ne pouvait imaginer une résurrection sans tombeau vide. En effet il se représente un homme total qui n’est pas « délivré », au sens platonicien, de sa corporéité, mais glorifié dans et avec elle. Les traces du tombeau vide se retrouvent plus tard chez Marc. Les récits des autres Évangiles, encore plus tardifs, présentent à ce sujet des divergences mais, de toute façon, ce n’est pas le tombeau vide qui est au centre de leurs narrations mais le message de la Résurrection. C’est ce dont attestent les disciples d’Emmaüs, (Luc 24, 22-24). Les femmes venues embaumer le corps au matin de Pâques n’ont pas cru en raison du tombeau vide. L’affirmation de ce vide était le signe destiné à confirmer que celui qui apparaissait était bien ce Jésus de Nazareth que l’on avait crucifié et déposé dans le tombeau.

Selon Paul, sa conviction que Jésus est vivant, s’appuie sur le témoignage des apparitions qui remontait aux origines de la chrétienté primitive. Au moment où il écrit, ces témoignages étaient vérifiables. « Il est apparu à Pierre puis aux douze ; ensuite il est apparu à plus de cinq cents frères à la fois, la plupart sont encore vivants et quelques uns sont morts ; ensuite il est apparu à Jacques puis à tous les apôtres. Et en tout dernier lieu il est apparu à l’avorton que je suis. » (I Co 15, 5-8). Le fait que Paul nomme des témoins qu’il connait personnellement ainsi que d’autres qui vivent encore, qu’on peut donc rencontrer et questionner, confirme que les apparitions de Jésus ressuscité ne sont pas seulement des faits théologiques, mais historiques. Il est clair, lorsqu’on lit les Évangiles et les Actes, que les disciples ne sont pas venus à la foi à partir de leur réflexion mais en raison de leurs expériences vécues avec le Ressuscité. La foi commence par la rencontre de quelqu’un qui a pris l’initiative de cette rencontre. Jésus ne vit pas parce que ses disciples ont foi en lui, mais c’est lui qui en se manifestant à eux leur a permis de croire et de professer leur foi. La résurrection est un témoignage de la foi des disciples et non pas un produit de leur foi. Autrement dit, les rencontres avec Jésus ressuscité,qui demandent toujours à être expliquées et situées dans un contexte kerygmatique, sont une découverte du crucifié vivant, dont le « surgissement » du tombeau est une initiative qui revient à Dieu et non à la foi de disciples réticents à l’admettre. L’expérience de Paul sur le chemin de Damas a constitué la dernière et ultime étape de cette initiative divine.

 

Et nous, pourquoi pouvons nous croire ?

Nous avons la réponse dans cette phrase que la communauté johannique a ajoutée au quatrième Evangile après la disparition de Jean, au début du second siècle. « C’est ce disciple (Jean) qui témoigne de ces choses et nous savons que son témoignage est conforme à la vérité ». Pour nous, ni tombeau vide ni apparitions post pascales. Nous devons nous en remettre au témoignage fondamental de ceux qui ont vu. Or, ils nous disent : le Christ n’a pas été englouti dans la mort après avoir été mis au tombeau, il vit pour toujours avec et par Dieu. Les récits des apparitions ont pour but de nous faire comprendre que la vie du Christ désormais ressuscité ne peut s’expliquer par des concepts, car les arguments ne suffisent pas à traduire l’expérience de ceux qui l’ont vu : on a besoin pour cela du truchement de narrations symboliques. Même les termes « relevé d’entre les morts » (Jean 21,14),« résurrection » ou « surgissement » sont des expressions métaphoriques.

Après sa mort, le Christ s’éveille à une vie nouvelle, ineffable (qui ne peut être dite), et il retourne à son Père, sans que l’on ait, évidemment besoin d’imaginer un déplacement spatio-temporel. Après la mort, la réalité espace-temps n’existe plus puisque l’on est dans l’éternité de Dieu. Par conséquent avec l’ascension on est dans un récit mythifié. On notera que chez Matthieu, l’Ascension semble se situer en Galilée sur une montagne, sans mention de date ; Jean y fait allusion dans ces mots à Marie-Madeleine, au matin de Pâques : « Je monte vers mon Père » (20, 17)) ; pour Luc, dans son Evangile et  dans les  Actes des apôtres, elle a lieu près de Jérusalem, et dans les Actes seulement quarante jours après Pâques. Ces récits ne présentent pas de concordance de lieu ni de temps. Le chiffre 40, dont la valeur est purement symbolique (le temps de l’attente avant de passer à un état meilleur), se retrouve en de multiples occurrences dans la Bible. Il a fallu aux apôtres un certain temps et de nombreuses apparitions pour arriver à la conviction que le Christ ressuscité est vivant, tellement la chose leur semblait incroyable. Dans ces conditions le récit lucanien de l’Ascension au bout de 40 jours a surtout valeur pédagogique : il veut montrer que le temps des apparitions est clos et qu’il faut compter maintenant sur la présence du Christ dans le monde par son Esprit. Cependant, théologiquement parlant, résurrection, ascension, glorification auprès du Père peuvent se penser en un seul et même mouvement.