19/06/2022 prédication André Bonnery

Prédication à Carcassonne, le 19 juin 2022

Jean  9, 10-17

 

Le récit de la multiplication des pains

 nous est familier, mais il doit être important puisqu’il compte six variantes : Mc 6 et 8 ; Mt 14 et 15 ; Lc 9 ; Jn 6. Il est également très riche en symboles, si bien qu’il faut éviter la tentation de s’arrêter à l’anecdote, pour aller jusqu’à la signification profonde de ce qui est rapporté par l’évangéliste. Jésus avait missionné les apôtres pour annoncer la Bonne Nouvelle dans les villages de Galilée. Après une formation préalable, il les avait envoyés en stage pastoral. Les voilà de retour, fatigués mais enrichis par tant de rencontres, et avec tellement d’histoires à raconter. Comme le Maître, ils avaient opéré des guérisons (v.6). Incroyable ! En bon pédagogue, Jésus les accueille, les écoute, les recadre peut-être aussi, et surtout les invite à se reposer, en les amenant « à l’écart », précise, le texte, au nord du Lac, près de la ville de Bethsaïda.

Comme la foule les avait repérés et commençait à s’assembler, afin de ménager ses apôtres, Jésus accueille lui-même ceux qui arrivent, annonce l’évangile et guérit ceux qui en ont besoin. Il est important de noter que l’annonce de la bonne nouvelle va de pair avec la guérison, car elle est faite pour restaurer celui qui la reçoit, le mettre debout, le faire repartir dans la vie, guéri, rétabli dans sa santé physique, mentale et spirituelle.

Quand le soir trombe, les « apôtre »s appelés maintenant les « douze », reviennent et invitent Jésus à laisser les gens repartir pour qu’ils puissent acheter de quoi se nourrir et trouver éventuellement un logement pour la nuit. Ils se sentent responsables de cette foule comme les chefs des douze tribus d’Israël, lors de la marche de l’exode, dans le désert. Les douze voient les problèmes logistiques concrets : nourrir et loger une foule. Accueillit 80 personnes de la paroisse, à Malportel, pour une journée d’Eglise, demande déjà une belle organisation, mais 5000 personnes …. !

La réponse de Jésus à leur demande semble totalement irréaliste : « Donnez-leur vous-même à manger ». Les apôtres ne comprennent pas ce que Jésus veut et ils tentent de reformuler, de clarifier la situation : « Nous n’avons que cinq pains et deux poissons. Voudrais-tu que nous allions acheter des vivres pour tout ce monde ? » Ils raisonnent avec leur logique d’hommes, ils voient les contraintes, les limites, les impossibilités. Ils se posent des questions de faisabilité à  partir de leurs schémas de pensée. Comme ils nous ressemblent ! Nous avons peu, estimons-nous et les besoins sont immenses ; aucune solution n’est possible en face de cette montagne de problèmes. Nous sommes bien comme les douze : avec ce terrible sentiment d’impuissance. Comment rassasier la foule ?

Actualisons. Alors que la famine menace 15 à 20 millions d’Africains, selon les spécialistes, le blé nécessaire pour les nourrir est bloqué par la guerre dans les ports d’Ukraine et de Russie. Que faire ?

 Parfois nous sommes tentés de nous résigner, de céder au fatalisme.  Quand ce sentiment nous envahit, relisons Luc  et devenons des « disciples » qui se mettent à l’écoute de ce que Jésus leur dit.

 

Un récit chargé de symboles.

La réponse de Jésus se situe au niveau où les disciples se trouvent. Ils doivent faire ce qu’ils savent faire, compter, répartir la foule en petites unités de 50, comme Les Hébreux dans le désert, sous la conduite de Moïse. On appellerait cela aujourd’hui,  sectoriser les problèmes. Jésus recommande de la méthode et voilà que les douze deviennent des disciples qui apprennent de leur maître. Quand ils auront fait l’inventaire  de ce dont ils disposent, cinq pains et deux poissons, Jésus pourra alors les aider, mais il veut, auparavant les mettre en action et les responsabiliser

On a remarqué que, dans le récit, les amis de Jésus changent trois fois de nom. Ils sont d’abord « apôtres » envoyés, ensuite « les douze » en référence aux chefs des 12 tribus, enfin « disciples » apprentis du Maître. Une façon de nous rappeler que, suivant les circonstances, nous pouvons être dans des rôles différents. Leçon d’humilité, : nous ne sommes pas fixés dans un rôle qui nous définit, et leçon d’encouragement. Nous pouvons être appelés à faire ce à quoi nous ne nous attendions pas. Les disciples acceptent ces différents rôles pour la foule, pour toutes ces femmes et ces hommes plus ou moins égarés, en quête d’une parole d’espérance, en attente de guérison et, pour l’heure, affamés. Une foule non satisfaite dans ses besoins physiques et spirituels. 5000 nous dit-on, chiffre évidemment symbolique : 100 groupes de 50.

Le rôle des apôtres est important dans ce récit : ce sont eux qui attirent l’attention de Jésus sur les besoins matériels de la foule et, même si leur proposition d’acheter de la nourriture est irréaliste (il est tard, le soir tombe et ils n’ont pas l’argent nécessaire), même s’ils n’ont à disposition, concrètement, que de 5 pains et deux poissons, sur l’ordre de Jésus, ils font asseoir les gens sur l’herbe, allusion peut-être au Ps 23,2 « sur de frais pâturages, il me fait reposer.»

L’allusion aux 5 pains est sans doute une référence au Pentateuque dont les 5 livres sont la nourriture spirituelle du peuple d’Israël. La symbolique est encore plus grande encore lorsque Jésus accomplit les gestes sur les pains et prononce les mêmes paroles que lors du dernier repas avant sa mort : « Il prit le pain, le bénit, le rompit et le leur donna ». Bénir le pain, c’est le prélude tout repas juif ;  bénir c’est investir de la force de Dieu. La symbolique eucharistique l’emporte ici ; elle est référence immédiate au rite que Jésus a institué lors de la dernière Cène comme signe de communion.

Et les poissons ? Sans aucun doute ils font référence à l’IXTUS, anagramme de la définition de « Jésus, Fils, de Dieu, Sauveur », en grec Iesous Xristos, Theou Uios, Soter. On trouve cette double symbolique du pain et des poissons sur une mosaïque découverte dans une  église paléochrétienne de Meggido, pas très loin, en définitive du lieu de la multiplication des pains. Devant la table eucharistique sur laquelle on déposait les pains, figurent deux poissons, allusion évidente à l’Eucharistie et à son parallèle avec le récit de Luc 9.

Quant aux 12 paniers en surplus, après la distribution à la foule, ils sont le symbole de la surabondance des dons de Dieu qui comble sont peuple figuré par les 12 tribus.  Les récits de rassasiement sont nombreux dans l’A.T. On se souviendra de la manne dans le désert qui peut nourrir les Hébreux, avec largesse Ex.6 ; No 11. Et encore Elie multipliant la farine  et l’huile pour la veuve de Sarepta (I Roi, 17) Ou bien Elisée qui multiplie les pains à Guilgal où sévissait la famine (II Roi, 4). Cette tradition se poursuit avec Jésus, confirmant qu’il est celui qui vient accomplir les promesses généreuses de Dieu à son peuple.

 

Voir et agir.

Aujourd’hui, nous voyons comme les douze, les besoins immenses de la multitude de nos contemporains : tant de personnes en recherche spirituelle, tant de gens qui ont besoin d’être guéris dans leur corps et dans leur âme. Tant de gens qui ont faim jusqu’à en mourir : 1 milliard sur 7 qui peuplent la terre.

Le miracle de l’évangile, c’était la prise de conscience d’une situation et le partage, au lieu de la cupidité et du chacun pour soi. La méthode est simple et efficace. Nous Occidentaux faisons partie de ceux, globalement, qui ont du pain en abondance. Il y aurait certainement assez à manger pour nourrir 7 milliards d’humains. Gandhi disait : « Le monde contient bien assez pour les besoins de chacun mais pas pour la cupidité de tous ». Attention, cela ne signifie pas qu’il ne faut pas se poser la question de la croissance exponentielle de la population mondiale. Lorsque j’étais jeune on comptait 3 milliards d’hommes. Aujourd’hui, 7. Et dans 50 ans, 14 milliards ? Et dans un siècle ? En outre, il ne s’agit pas de fournir uniquement du blé ou du riz pour vivre décemment, mais de tas d’autres biens, or notre planète a des ressources limitées et elle ne peut digérer indéfiniment nos déchets et nos pollutions. Pas de naïveté donc, mais pour l’heure regardons à notre porte et agissons.

Nous gaspillons tous les ans des tonnes et des tonnes de nourriture. Nos contemporains occidentaux souffrent de diabète, d’obésité, de maladies cardio-vasculaires liées notamment à la façon de manger. Pour nous déplacer nous épuisons les réserves de carburant et nous faisons appel à des biocarburants produits à base de céréales dont on aurait bien besoin pour nourrir les affamés. Les voitures électriques sont-elle vraiment la solution ? On achète dans les supermarchés des produits bas de gamme alors qu’il faudrait faire appel aux circuits courts et soutenir les agriculteurs du voisinage avec leurs produits sains. Nous avons plus de possibilités de partage que nous ne le pensons. Laissons-nous instruire par Jésus. Regardons le rendre grâce pour la nourriture qui nous est donnée ; contemplons la manière dont il rompt le pain et le distribue. Imitons-le.

 

Pas un prodige mais un « signe ».

Quand les foules voyaient les miracles accomplis par Jésus, elles voulaient le faire roi pour pouvoir bénéficier de ses largesses. Jésus s’y est toujours opposé car ses contemporains se trompaient sur la signification de sa mission. En effet, il était venu pour annoncer le Royaume de Dieu dont la finalité n’était pas matérielle au sens étroit du mot. Le miracle  de la multiplication des pains était destiné à annoncer le repas messianique attendu par les Juifs croyants, et le « signe » qu’il était le Messie, l’envoyé de Dieu. Pierre l’avait perçu lorsque, quelques versets plus loin (v.20), à la question « qui dites vous que je suis ?  il répond : « Tu es le Christ de Dieu ».