Prédication synodale 20/11/2022

PRÉDICATIONSYNODALE

DIMANCHE 20 NOVEMBRE 2022

TEMPLE D'UZÈS

 

 

Actes 12, 1-17 traduction Louis Segond

 

 

INTRO-CONTEXTE

 

Quelle histoire ! Celle de l’emprisonnement de Pierre, voué à une mort certaine qu’a déjà subie Jacques, le frère de Jean. Le contexte est à la persécution mais le récit va finalement nous parler de libération.

 

Une libération surprenante. Tout semblait pourtant joué dans cette prison où pas moins de 16 soldats ont été dépêchés pour enfermer un seul homme, finalement enchaîné ! De quoi apeurer et mortifier toute une communauté. Hérode exerce alors une autorité qui cherche à “plaire”, nous dit Luc (l’auteur des Actes), à la majorité du peuple, aux responsables locaux ; pour rester en place, pour ne pas perdre son pouvoir, quand bien même il faudrait en passer par les mauvais traitements voire la condamnation à mort de quelques-uns. Violences ordinaires d’un monde marqué par les dominations et la soif de pouvoir.

 

Mais voilà qu’intervient l’ange du Seigneur : c’est alors la grande confusion. Pour Pierre, à qui l’ange doit dire de se lever, de mettre ses lacets, de s’habiller... Pour les gardes ensuite, spectateurs impuissants d’une libération qui a déjà eu lieu sans qu’ils ne s’en aperçoivent. Pour l’Église enfin, qui prie mais n’en revient pas de voir ses prières exaucées ! Tout était figé, à sa place, en attente, de part et d’autre, d’une mort certaine. Et voilà que l’imprévu arrive, que l’impensable change la donne et rouvre portes et chemins.

 

Luc nous dit déjà quelque chose d’essentiel, de par la forme même du récit : quand tout paraît blindé comme des portes de prison, quand les situations semblent figées et nos destins scellés, voilà que peut toujours surgir un inattendu… même si c’est celui que nous appelons sans vraiment y croire ! Voilà qu’un peu d’air se faufile alors dans ce qui était tenu sous vide… Et puis, l’humour de ce texte nous offre le souffle nécessaire pour penser autrement nos enfermements, nos craintes quant à l’avenir. Il nous ouvre les yeux sur nos propres attentes, sur une manière nouvelle de penser nos communautés en ce jour où nous réfléchissons en synode à la façon dont notre Église vit l’annonce de la Bonne Nouvelle.

 

 

LE DIEU LIBÉRATEUR

 

Revenons aux personnages de ce texte : le seul à n’être pas pris dans la confusion, c’est

« l’ange du Seigneur », c’est-à-dire littéralement le « messager » de Dieu, qui donne un coup sur le côté à Pierre pour le réveiller, la lumière éclatante n’y suffisant pas. Celui-ci devait donc dormir profondément, tout comme les gardes ! Quel sommeil de plomb au milieu des barreaux de fer… Ce messager va même indiquer à Pierre comment s’habiller. Puis également, lui donner cet ordre : “suis-moi”, comme s’il fallait encore l’inviter à sortir de sa prison ! Au milieu du merveilleux, des chaînes qui tombent des mains de Pierre, du portail de fer qui s’ouvre seul quand ils approchent, nous voilà en présence de celui qui vient au nom du Dieu libérateur : ce même Dieu qui a libéré le peuple hébreu du pays d’Égypte (de nombreux détails du texte renvoient au récit de l’Exode) et qui a relevé le Christ d’entre les morts (les allusions aux récits de Résurrection sont également nombreuses). Luc nous le redit avec force dans cet épisode, le Dieu de Jésus-Christ est celui qui vient briser nos chaînes, qui ouvre la mer, roule la pierre et fait sauter les verrous des portes que nous pensions fermées et verrouillées.

Le Dieu de Jésus-Christ est celui qui vient de manière imprévisible et impensable quand nous avons déjà tout prévu et tout pensé. “Folie aux yeux du monde” (1Co 1, 27). Ce Dieu qui choisit notre faiblesse, notre perpétuelle incompréhension, nos maladresses et notre confusion pour nous révéler sa force, dans une continuité qui va du peuple esclave à Pierre en passant par les disciples ; et de cette petite communauté primitive jusqu’à nous.

 

 

L’ÉGLISE

 

Bizarrement, la seule porte qui résiste et reste close, c’est celle que Rhode, la servante, oublie d’ouvrir lorsqu’elle reconnaît la voix de Pierre : la porte de la maison où la petite communauté est retranchée à l’intérieur… la porte de l'Église en somme ! Encore un trait d’humour ? Comme pour interpeller le lecteur…

 

Car ces croyants sont en train de prier. Cela est répété deux fois dans le texte. Et pourtant, ils sont convaincus que Pierre ne peut pas être là. Son ange oui, s’il est déjà mort, mais pas lui ! Sans doute sont-ils enfermés en eux-mêmes dans leurs convictions, eux aussi, sûrs de ce qu’ils peuvent attendre ou pas. Peurs, préjugés, désespoir : tous les verrous qui nous tiennent prisonniers ne sont pas forcément visibles. Et pourtant, cette porte va elle aussi s’ouvrir de l’intérieur. Mais cela va leur demander un déplacement, à chacun d’eux, à chacun des membres de la communauté de croyants où se donne à entendre cette voix que nous reconnaissons et où se donne à vivre ce que nous attendons, ce pour quoi nous prions. Si Rhode seule a d’abord pu témoigner de ce qui se

 

passait à l’extérieur, de la voix qu’elle a reconnue, c’est l'ensemble des membres de la communauté, surpris et interpellés par la vie qui se manifeste avec insistance sur le seuil, qui va finalement prendre cette responsabilité d’ouvrir la porte de l’intérieur et d’en recevoir la grâce de s’ouvrir à une rencontre inespérée : rencontre avec Pierre bien sûr, mais surtout rencontre avec un Évangile qui vient en vérité transformer les vies, libérer des carcans, donner un souffle nouveau - peu importe le temps qu’il faut.

 

Se déplacer, sur le seuil, pour nous aussi recevoir, voir, entendre un autre témoignage encore. Ouvrir la porte à l’Évangile qui vient nous rencontrer, même lorsqu’il ne se manifeste pas comme nous l’attendions : ce ne peut être l’affaire d’un seul, mais chacun et chacune est concerné, dans la diversité de nos situations, de nos vécus, de nos rencontres fortuites. Comme Pierre, comme Rhode, raconter dans l’Église comment cet Évangile nous a déplacés, témoigner à notre tour de la façon dont nous avons été tirés de nos prisons - même au risque de ne pas être entendus, couverts par le flot des discours des uns et les exclamations de surprise des autres.

 

Ainsi, à ces croyants qui viennent enfin à la porte vérifier que c’est bien Pierre qui est là, celui-ci leur dit-il d’abord, d’un signe de la main, de se taire ! Encore un détail surprenant... Se taire, d’abord. Là, sur le palier, pour se mettre à l'écoute de l’imprévisible, de ce qu’on demandait sans vraiment l’attendre. A l’écoute, le temps qu’il faudra. Avant d’être envoyés à son tour vers d’autres frères et sœurs, pour partager à l’Église universelle cette Bonne nouvelle qui la fait vivre, qui nous fait vivre   : « Annoncez-le à Jacques et aux autres frères et sœurs. » Et voilà Pierre qui repart, sans s’attarder. Apparition aussi fulgurante que celle de l’ange. Un messager libérant un autre messager qui envoie lui- même d’autres messagers sur la route.

 

 

POUR AUJOURD’HUI

 

Et aujourd’hui : comment cela se fera-t-il, puisque nous ne connaissons pas le moyen par lequel cette Parole fructifiera encore? Cela appartient à Dieu en effet. Mais nous avons aussi notre part à faire. Pour que cela puisse arriver, pour que puisse advenir ce “passage de témoins” de l’ange à Pierre, de Pierre à la communauté des croyants d’alors, de cette petite communauté à nous aujourd’hui et à l’Église de demain, des déplacements sont nécessaires. Ils sont à recevoir non seulement comme mouvements vers l’autre mais aussi comme déplacements intérieurs. Dieu vient, d’abord, à travers son messager, jusque dans la prison de Pierre. Pierre ensuite est invité à prendre acte de ce que ses chaînes sont tombées et qu’il doit se lever et partir. Rhode va vers la porte et s’en retourne vers la communauté témoigner de ce qu’elle a entendu. Et enfin la communauté priante est invitée à s’approcher de la porte où appelle Pierre. Une rencontre qui se fait sur le seuil. Le seuil de la maison, le seuil de l’Église, là où le monde attend, espère mais aussi

 

inquiète et fait peur. Un seuil qu’il faudra aussi franchir pour aller annoncer l’Évangile à Jacques et aux autres frères et sœurs, et au-delà, au monde entier.

 

Les défis auxquels notre petit troupeau doit faire face aujourd’hui semblent pourtant si grands. Mortifiés par les abus d’autorité des Hérode contemporains ; par les violences inouïes dont nous sommes souvent les témoins impuissants, par les emprisonnements symboliques mais bien réels, de tant de proches et de personnes chéries ; nous nous savons bien démunis pour que grandisse dans le monde la Parole qui nous porte intimement. Le Dieu libérateur vient nous chercher là, dans notre monde imparfait, dans notre société de pouvoir et d’enfermement, même si aujourd’hui nos prisons ont pris bien souvent d’autres visages. Même si aujourd’hui, du moins de ce côté de l’Europe, nos enfermements sont sans doute davantage en nous, barricades de solitudes, de nostalgie ou de culpabilité, de peur, de confort parfois, d’écrans qui nous isolent peut-être même aussi. Nos prisons ne sont pas faites que de ferrailles et de gardes postés autour de nous. Prisons comme autant de cages dorées dans lesquelles il nous arrive de nous endormir profondément, comme Pierre. Et de ne même pas percevoir que la lumière de l’espérance est là, éclatante, qui nous appelle à sortir vivre de cette Bonne Nouvelle.

Aujourd’hui, et sans doute de mille manières différentes, un messager nous frappe sur le côté : réveille-toi, lève-toi, la vie t’attend. Le Royaume se vit au dehors comme au- dedans : sur les bords des chemins, sur les paliers des maisons, sur le seuil ; ce lieu de rencontre où nous sommes invités, ensemble et chacun individuellement, à nous tenir, écoutant et vivant à la fois à l’intérieur et à l’extérieur des murs, discernant en chaque passant le croyant, en chaque croyant un passeur : capables même à travers les mots maladroits ou les gestes qui parlent, d’entendre la Parole du Dieu libérateur ; d’être témoins de Dieu auprès du monde et témoin du monde auprès de Dieu ; de relayer l’appel à se mettre en route vers d’autres frères et sœurs encore. Cette Église est perpétuelle mise en mouvement, ce mouvement qui transcende nos enfermements en tous genres pour nous donner d’oser vivre nos vies dans cette confiance : le Dieu de Jésus-Christ fait pour nous ce pari impossible de nos vies libérées. Il fait pour nous ce pari fou d’habiter nos faiblesses et nos regards fermés pour y mettre sa force et sa lumière.

Et il nous accueille là où nous en sommes, chacun, et là où nous sommes, ensemble : sur ce seuil, entre l’Église et le monde. Nous tenir ici, simplement, avec ce que nous portons. Nous tenir ici, sur le seuil, pour nous mettre à l’écoute. Pour recevoir et offrir un lieu de repos destiné à tous les fatigués et chargées qui viennent à la rencontre. Et puis, peut-être, franchir ce seuil, pour aller résolument vers ceux qui attendent dehors une parole, un regard, un geste. Pour être témoin dans notre monde de la Bonne Nouvelle d’un Dieu qui a pris au sérieux notre humanité au point de venir la vivre jusqu’au bout, en son fils, notre frère. Amen.