A propos de la fête de la Sainte-Trinité.

1-    Comment comprendre la Trinité ?

Ce premier dimanche après la Pentecôte est consacré à la Sainte-Trinité. C’est, historiquement la première fête théologique et elle est assez tardive puisqu’elle n’apparait qu’au XIIIe siècle. Les autres fêtes qui sont consacrées à un événement : Noël, l’Epiphanie, Pâques, l’Ascension, Pentecôte, sont beaucoup plus anciennes.

 

Datant précisément du XIIIe siècle, on peut voir, dans l’église Saint-Nazaire de la Cité de Carcassonne une belle représentation sculptée de la Trinité : Dieu le Père figurant avec une grand barbe est assis en majesté sur un trône, tenant sur ses genoux une croix avec le crucifié, tandis qu’une colombe sort de sa bouche et pose son bec sur la tête de Jésus, rappel évident de la colombe qui apparait lors du bapt^eme de Jésus. On appelle ce type d’iconographie, le « Trône de grâce ». . Le plus ancien connu, se trouve sur un manuscrit conservé à Perpignan, provenant de l’abbaye de Saint-Michel de Cuxa.

 

Par ailleurs, il existe, dans le trésor de la cathédrale Saint-Just de Narbonne une splendide tapisserie du XVe siècle qui constitue l’une des pièces majeures du Musée. Elle représente la sainte-Trinité sous la forme de trois personnages portant couronne et richement vêtus dont le visage est absolument semblable. Seules différent les attitudes des personnes. Je vous engage à aller voir ou revoir cette œuvre d’art pour en admirer l’esthétique mais non point pour en nourrir votre théologie. L’Eglise catholique a d’ailleurs compris à quelles dérives on pouvait aboutir en tentant de représenter iconographiquement le Dieu trine, puisque le pape Benoît XIV, en 1745 a mis en garde contre le danger de ce type de figuration anthropomorphique. En effet il tend à renforcer l’idée présente chez beaucoup qu’il existerait  en quelque sorte trois dieux.  

 Certes, depuis le concile de Nicée de 325 complété par celui de Constantinople en 381, on dit que le Père est égal au Fils et à l’Esprit : Trois personnes et une même nature divine. Il s’agit d’une explication de la Trinité par des concepts, nature, personne, appartenant à la philosophie grecque.

Cette explication ontologique de Dieu a été mise en forme par les Pères Cappadociens (Basile de Césarée, Grégoire de Nysse, Grégoire de Nazianze) pour tenter de comprendre les relations entre Père, Fils et Esprit dont parlent les Ecritures, et elle fut transformée en dogme par les conciles sus nommés. En fait, cette spéculation, assurément louable,  s’est éloignée du solide terrain biblique en voulant  scruter présomptueusement (?) les hauteurs vertigineuses du mystère de Dieu. Notons que le concept même de Trinité n’apparait pas dans la Bible. Il a été employé une première fois par Tertullien au IIIe siècle, trinitas, et il est devenu un terme de la théologie spéculative.

Quand on y regarde de près, jamais, dans le Nouveau Testament, lorsqu’il est question  du Père du Fils et de l’Esprit, les textes ne font  allusion à l’Être de Dieu en soi, mais ils parlent de Dieu pour nous, tel qu’il agit en nous, par Jésus, dans l’Esprit. En ce sens la formule « Gloire au Père et au Fils et au Saint-Esprit, qui a été élaborée dans un contexte anti arien, est ambigüe et peut prêter à des malentendus car elle juxtapose les trois personnes. La vieille doxologie « Gloire au Père par le Fils, dans l’Esprit » est beaucoup plus proche de la pensée du Nouveau Testament que l’on pourrait exprimer ainsi en termes : « Dieu est Père pour moi ; Jésus, en tant que Fils et frère, est à côté de moi ; l’Esprit de Dieu et de Jésus-Christ est en moi.

Les choses étant vues ainsi, la foi au Dieu unique héritée d’Israël, partagée aussi par l’Islam, ne doit pas disparaître parce que l’on croit au Fils et à l’Esprit. Nous ne croyons pas à plusieurs dieux comme nous le reprochent les Juifs et les musulmans ? Non évidemment ! D’ailleurs, jamais, les premiers chrétiens, totalement Juifs par l’origine et la pensée, n’ont mis en doute l’unicité absolue de Dieu. Alors comment faut-il entendre l’expression « le Fils de Dieu », attribuée à Jésus dans les Ecritures ?

 

2 - Jésus, Fils de Dieu.

Jésus ne s’est jamais présenté explicitement comme Fils de Dieu. Il a même décliné toute identité directe avec Dieu, toute divinisation de sa personne : « Pourquoi m’appelles-tu  bon ? Nul n’est Bon, sinon Dieu seul ». En revanche, il n’a jamais dit, comme les prophètes de l’A.T. « ainsi parle le Seigneur ». Au contraire et c’est un exemple unique dans le monde juif,  il parle en son nom en employant les pronoms « je » et « moi » :  « et moi je vous dis ». On ne peut exclure l’idée que cet envoyé du Père a parlé et agi en fonction d’un lien particulier avec lui.

Par contre, dans l’Ancien Testament, on trouve l’expression « Fils de Dieu » pour désigner le roi, les juges, les anges et même le peuple d’Israël, mais c’est toujours de manière analogique ou dans le sens d’adoption. Par contre, ce n’est pas un titre messianique car jamais le Messie n’est désigné comme Fils de Dieu. Jésus avait été reconnu par ses disciples comme le Christ, l’oint, choisi par Dieu pour être son Messie, son envoyé, son messager. Après la Résurrection, à la suite d’expériences nombreuses et précises, de choses vues et entendues, ils ont vite acquis la conviction que Jésus n’avait pas été retenu dans la mort, mais qu’il était vivant, ressuscité, « élevé » par Dieu et entré dans la vie éternelle. Ils se rappelèrent alors quel attachement, quelle proximité, le Nazaréen avait eus avec Dieu : Il pensait, parlait, agissait dans une intimité absolue avec celui qu’il appelait son Père et même, en araméen abba, papa. De manière très logique, pour les disciples, celui qui appelait Dieu son père, pouvait être considéré comme son fils. La chose était d’autant plus normale pour un Juif qu’il pouvait se représenter l’élévation-résurrection de Jésus auprès de Dieu comme l’intronisation d’un roi d’Israël. De même que celui-ci était institué Fils de Dieu après son élévation sur le trône, ainsi Jésus ressuscité pouvait être appelé Fils.

A ceux qui interrogeaient les apôtres : « mais où est le Ressuscité, ils pouvaient répondre : « il est assis à la droite du Père, non pas dans une communauté métaphysique d’Etre (ce sont les conciles grecs du  IVe siècle qui ont développé cette notion), mais dans une communauté biblique de trône. Le Royaume de Dieu et le Royaume annoncé par Jésus « mon Royaume », deviennent  une seule et même réalité pour les disciples, après Pâques. Dans le Psaume 2, autre psaume d’intronisation, le Messie-roi est explicitement appelé fils : « Moi, j’ai sacré mon roi… tu es mon Fils… aujourd’hui je t’ai engendré (v.6-7). L’investiture de Jésus, le Messie, élevé auprès de Dieu comme Fils, fait sans doute partie de la prédication la plus ancienne. Voilà pourquoi dans une confession de foi pré paulinienne, qui est utilisée comme introduction à l’Epitre aux Romains, il est dit : « (Jésus-Christ) est établi, selon l’Esprit-Saint, Fils de Dieu, avec puissance, par sa résurrection d’entre les morts » (Rm. 1, 4). L’investiture de Jésus, le Messie, élevé comme Fils auprès du Père fait sans doute partie de la prédication la plus ancienne des apôtres.

Laissant de côté les dogmes, créations humaines, qui ont eu sans doute une utilité, mais qui sont liés à des concepts philosophiques contingents, si nous interrogeons directement l’Ecriture, elle nous dit que la filiation divine de Jésus, est exprimée non comme une génération biologique ni même ontologique, mais comme une élection, en tant que Christ et Messie de Dieu, par le Père qui lui remet les pleins pouvoirs, le faisant Seigneur, c'est-à-dire référence suprême. La foi juive des disciples en un Dieu unique, ne s’opposait pas à cette conception de la filiation divine de Jésus.

 

3 - Et le Saint-Esprit ?

La plupart des malentendus sur le Saint-Esprit viennent de ce qu’on le dissocie de Dieu pour en faire un être autonome. A juste titre, le Concile de Constantinople de 381 qui a étendu au Saint-Esprit la profession de foi de Nicée centrée sur le Fils, affirme que l’Esprit possède un seul et même Être, avec le Père et le  Fils. J’aime bien cette image de la Pentecôte que l’on peut observer sur une plaque d’ivoire au Musée de la cathédrale de Narbonne. On y voit les douze assemblés devant le Cénacle tandis que, de la main du Père sortent des rayons (les langues de feu de la Pentecôte) qui se posent sur la tête des apôtres. Ici,  Dieu lui-même communique son Esprit aux disciples assemblés : Il est Dieu en action, et non pas une personne à côté du Père, comme sur la tapisserie de Narbonne.

La conception que l’on se faisait de l’Esprit dans la communauté primitive n’est pas uniforme. Luc, en particulier, tant dans son Evangile,- que dans les Actes, s’intéresse aux aspects extraordinaires de l’action de l’Esprit : L’Annonciation, la Pentecôte. Paul, au contraire comprend l’Esprit à partir du grand tournant que représentent la mort et la résurrection de Jésus, survenue par l’action du Père « Dieu l’a ressuscité d’entre les morts ». Dieu le Père et Jésus, bien que nettement distincts, sont vus conjointement quand il s’agit de leur action. Chez Paul, Dieu procure le salut par Jésus. En tant que Seigneur glorifié, la puissance et la force de l’Esprit de Dieu sont devenus ceux de Jésus, à tel point qu’il peut, en raison de sa Résurrection être considéré lui-même comme Esprit vivifiant : «le dernier Adam, (Jésus), est un être spirituel donnant la vie (1Co, 15,45).

 

Conclusion

En guise de conclusion à cette réflexion sur la Trinité, je voudrais lire ce court passage extrait de Jean, 16. Après avoir annoncé à ses disciples qu’il ne les laisserait pas seuls mais qu’il leur enverrait son Esprit Jésus termine par ce que je considère comme une merveilleuse définition de la Trinité : « (l’Esprit) recevra ce qui est de moi et vous le communiquera. Tout ce que possède mon Père est à moi, c’est pourquoi j’ai dit qu’il (l’Esprit) vous communiquera ce qu’il reçoit de moi » (v.14-15). Dit autrement : «  Tout ce qui est au Père est à moi ; l’Esprit le reçoit de moi et il vous le communiquera »

Nous avons là, non pas la définition d’une Trinité ontologique, dogmatique, mais celle d’un Dieu, Créateur, Père aimant, qui se révèle aux hommes à travers son Fils, notre frère en humanité, et qui agit toujours dans le monde par son  Esprit.

« Oh Esprit du Père et de Jésus donne nous de comprendre et d’accueillir la Parole que nous délivre Jésus, et d’en vivre. » AMEN.