16/08/2020 Prédication de Joëlle Almeras (avec son)

Carcassonne 16 août 2020

 

Esaïe 56, 1 – 7 eunuques et étrangers une maison pour tous les peuples

Romains 11, 13 - 32 juifs et non juifs

Matthieu 15, 21 – 28 la femme cananéenne

 

Fil rouge : « Tout peut… »

 

Liturgie et Prédication audio :

pour accéder à la piste de son : cliquez ici

 

 

Introduction : Et bien, mes amis, que voilà, avec l’Évangile d’aujourd'hui, un texte interpellant ! Nous y voyons Jésus dans un lieu improbable, je dirais même douteux et exécrable pour un juif, la région de Tyr et de Sidon, plus païenne que cette terre, tu meurs, si j’ose le dire ainsi. Nous y vivons une rencontre plus qu’inenvisageable entre un homme juif et une femme païenne. Nous sommes au bord de la sidération devant la réaction malséante et offensante d’un Jésus qui ne ressemble en rien au Jésus doux et humble de cœur décrit au chapitre 11. C’est quoi ce binz ? Va falloir débroussailler pour y voir plus clair !

Pour ce faire, nous commencerons par parler de ce parcours improbable de Jésus, de sa mission, de sa réaction devant la femme et de sa saisissante capacité à se laisser déplacer dans ses convictions ; puis évidemment, nous porterons nos regards sur elle, sa ténacité sans faille, son humilité rayonnante et aussi son écoute réactive à des paroles qui auraient pourtant dû la laisser sans voix. Enfin, ces deux personnages et leur entourage, avec leur dialogue limite brindezingue, seront l’occasion de plonger dans les méandres d’un cœur, le nôtre, souvent mal assuré quant aux décisions à prendre, incertain des issues à venir, brinquebalant ses doutes et ses hésitations sur les chemins de la foi. Seigneur, viens au secours de notre incrédulité !

 

1) Jésus : Nous voilà propulsés dans un lieu abhorré par les juifs : la région de Tyr et de Sidon, terre de triste mémoire où la reine Jézabel sévit et imposa le culte de Baal, une terre impure s’il en est ! Jésus vient, dans le contexte précédent immédiat, de se farcir, pour le dire crûment, un échange musclé avec les pharisiens… sur la pureté. Est-ce pour illustrer ses propos qu’il passe dans cette région impure ? Ou savait-il qu’il y avait là des « moutons perdus du peuple d’Israël » ? Ou bien, l’Esprit, a-t-il impulsé en lui un désir irrépressible d’y venir ? Je ne saurais le dire. Toujours est-il que le voilà, dans ce monde païen, judaïquement insalubre et putride. Et là, les règles strictes imposées par les pharisiens volent en éclat. Depuis quand, une femme, non juive, se permet-elle d’adresser la parole à un homme, juif de surcroît ? Non mais, où va le monde ? D’ailleurs, Jésus va nous surprendre car, effectivement, il semble porter sur cette femme un regard juif de chez juif : « je n’ai été envoyé que vers les moutons perdus du peuple d’Israël ». C’est clair, net et précis : « toi, la brebis d’un troupeau qui n’est pas le mien, passe ton chemin, arrête de me bêler dans les oreilles. J’ai autre chose à faire que de m’occuper de toi ». Il ne semble pas avoir encore compris ce que Paul exprime si bien dans le passage de Romains : la Bonne Nouvelle est pour tous et toutes, les eunuques et les étrangers comme le décrit aussi Esaïe et même les femmes, juives ou pas, comme la cananéenne !!! Ou alors, tout simplement, Jésus est un homme de son temps, imprégné, comme ses contemporains, de la pensée ambiante dans laquelle il baigne depuis sa naissance. Attitude coutumière qu’il va, finalement, outrepasser de tous bords !

Car voilà que l’Esprit lui inspire des paroles qui vont faire rebond dans la conversation et ouvrir la porte à un changement radical : « ce n’est pas bien de prendre le pain des enfants pour le donner aux chiens ». La réponse de son interlocutrice, va conduire Jésus, à revenir sur une position qui semblait sans appel. Touché, aux entrailles, ah ! Quand même ! Un commentateur précise : « le divinité de Jésus ne se révèle pas dans le fait qu’il a tout prévu, mais dans le fait qu’il se laisse remettre en question par une étrangère[1] ». Tout peut changer, je crois, Seigneur, viens au secours de mon incrédulité.

 

2) la femme : L’étrangère, parlons-en. Le pasteur Michel Bertrand la décrit ainsi, je cite : « une passeuse de frontières. Une Cananéenne qui ose défier les barrières et les handicaps dressés devant elle. En effet, elle est « étrangère », elle est « païenne », elle est « femme » et elle a de surcroit, dans sa maison, un esprit impur [2]» (fin de citation). La totale !

Qu’importe ! elle s’élance avec la seule force de son amour de mère, absolument décidée à obtenir gain de cause. Et le parcours s’avère plus qu’épineux et difficultueux. Fort Boyard, en comparaison, c’est de la gnognotte ! Elle a laissé son enfant chérie, probablement hurlant, dans son hystérie, sa rage de ne plus voir sa mère, pour rejoindre Jésus. Nul doute que ces cris déchirent son cœur et qu’elle est chamboulée d’un amour maternel inassouvi. Mais cela ne lui fait pas rebrousser chemin. Devant elle, autour d’elle, une foule en ébullition dans un tintamarre assourdissant d’appels destinés à Jésus. Elle la traverse, crie plus fort que les autres pour se faire entendre. D’ailleurs, le mot crier que l’on trouve ici peut se traduire : pousser des hurlements un peu comme un chien qui hurle à la mort. Il faut aussi passer l’obstacle des disciples qui font barrage, en chiens de garde sûrs de leur mission pour protéger leur Maître.

Propulsée chienne, comme dans un jeu de quille, certes, mais de la race des bull terriers à coup sur, car elle ne va pas lâcher le morceau même au prix de son amour propre : « les chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres ». Décidément, les chiens, dans ce texte, sont omniprésents. Quand les disciples parlent de la renvoyer, ce serait comme on détache une bête. Et quand elle se prosterne, elle « fait le chien couchant » ! Alors, ne m’en veuillez pas si j’ose dire qu’elle va caresser Jésus dans le sens du poil et avec succès ! J’ai osé !

Que nous apprends donc cette femme, à nous, minuscules greffons d’un rameau étranger sur l’arbre de la vie ? Elle a fait des pieds et des mains en surmontant tous les obstacles pour approcher le Maître… Elle l’a écouté et su comment réagir à ses paroles pour qu’elles deviennent pour elle et surtout pour sa fille, paroles de vie … Elle a déposé devant lui l’apparence construite face aux regards des autres jusqu’à s’en dépouiller et se mettre à nu de l’intérieur, en acceptant d’être une chienne sous la table, pour récupérer des miettes d’un repas auquel elle n’était pas conviée. Nous ne savons, mais l’Esprit lui le sait, comment elle a pu entrer en symbiose avec Jésus jusqu’à renverser et évincer en lui une conviction affirmée sans détours. Par sa détermination et sa persévérance, elle a ouvert une faille où un possible inenvisageable s’est infiltré et a changé le cours des choses. Tout peut arriver, je crois, Seigneur, viens au secours de mon incrédulité.

 

3) les disciples ? Quant aux disciples, nous en sommes, qui sait si nous n’aurions pas tendance, parfois, à faire barrage pour garder au Maitre son « espace vital », je veux dire, notre espace théologique et doctrinal, pur de toute irruption étrangère : ah ! l’inaltérable rituel liturgique… ah ! nos bons vieux cantiques réformés… ah ! l’évolution des moeurs… ah !... nous pourrions en pousser des « ah ! » et d’ailleurs, quand l’intrusion nous semble aussi insupportable que celle d’une femme païenne dans le cercle des initiés qui accompagnaient Jésus, nous aussi, nous voulons la voir ailleurs, loin, « détache-là et qu’elle ne vienne plus nous « impurer » avec ses trucs d’étrangère.

En fait, le texte ne dit rien de la réaction des disciples après la guérison de l’enfant. Silence radio total sur ce qu’ils ont pu vivre de changement comme Jésus l’a vécu.

Il faut donc inventer, pour nous, aujourd'hui, la suite non écrite de cette curieuse histoire que le rédacteur de l’Évangile de Matthieu partageait avec des chrétiens issus du judaïsme qui freinaient des 4 fers à  l’idée de retrouver dans leurs rangs ces païens aux mœurs bizarres, pas vraiment aux normes rabbiniques, qu’eux avaient, on ne sait jamais, gardé derrière les fagots et fusionné avec les enseignements du Maître. Accepter, comme Jésus, une remise en question fondamentale sur l’universalité de la grâce offerte ? Rejeter l’entre-soi communautariste qui exclut les « pas pareils », les « empêcheurs de tourner en rond », les « crieurs-hurleurs » d’au secours qui écorchent les oreilles ?  Un pasteur commente en disant, je cite : « cette femme fait une intrusion. Elle fait une intrusion dans l'Église, dans le troupeau des brebis d’Israël. Elle fait une intrusion en passant sous la table, comme les petits chiens, en disant d’une certaine manière « oui, je ne suis pas membre de l'Église. Oui, je ne peux pas être appelée enfant de Dieu. Mais malgré tout j’ai droit à la grâce de Dieu, parce que ce je supporte est insupportable, et qu’il faut qu’il me fasse grâce[3]. » Tout peut être réformé, nous croyons, Seigneur, viens au secours de notre incrédulité.

 

4) Conclusion : En conclusion, je devrais plutôt dire, en commencement, avec le récit de cette rencontre, tant de portes se sont ouvertes sur des chemins possibles et fructueux pour notre foi, que je ne saurais laquelle franchir avec vous. Alors, j’ai choisi de partager un texte extrait de la petite liturgie de Pomeyrol. Je cite :

« Jésus lui dit : tout est possible à celui qui croit.

Je crois, Seigneur, viens au secours de mon incrédulité.

Ne vous inquiétez pas du lendemain,

Votre Père céleste sait vos besoins.

Je crois, Seigneur, viens au secours de mon incrédulité.

Maitre, nous avons travaillé toute la nuit sans rien prendre,

Mais sur ta parole, je jetterai encore le filet.

Je crois, Seigneur, viens au secours de mon incrédulité.

Jeune homme, je te le dis, lève-toi !

Je crois, Seigneur, viens au secours de mon incrédulité.

(…)

Le Père céleste donnera le Saint-Esprit à ceux qui le demandent.

Je crois, Seigneur, viens au secours de mon incrédulité.

(…)

Heureux ceux qui ne m’ont pas vu et qui ont cru.

Je crois, Seigneur, viens au secours de mon incrédulité.

« ta foi t’a sauvé, va en paix ! »[4]

 Amen.



[1] Antoine Nouis

[2] Michel Bertrand culte à Argentière et Megève 31 juillet 2011

[4] Petite liturgie de Pomeyrol p. 57