16/05/2021 prédication André Bonnery

Culte du 16 mai à Carcassonne

Lectures : Actes 1, 15-26 ; 1 Jean 4, 11-16 ; Jean17, 11b-19

Chants : Comme un souffle fragile

Prédication.

I - Une Bonne-Nouvelle pour aujourd’hui.

     Les chapitres 14 à 17 de Jean sont considérés comme une sorte de testament spirituel de Jésus avant sa mort. Le chapitre 17 qui en fait partie, et dont on vient de lire un extrait, est construit comme une prière de Jésus à son Père ;  la plus longue que les Evangiles nous aient transmise.

     Dimanche dernier, Christiane a retracé pour nous avec pertinence, le contexte historique dans lequel l’Evangile de Jean avait été écrit. A la fin du Ier siècle, les chrétiens sont rejetés de la synagogue et ils se sentent bien seuls dans cet Empire romain qui ne les persécute pas encore mais qui  n’a aucune sympathie pour ces juifs dissidents dont le mode de vie et de pensée sont tellement étrangers aux conceptions ambiantes. La communauté johannique dans laquelle cet évangile est écrit ressemble, à bien des égards, à nos Eglises chrétiennes d’aujourd’hui.

     Les chrétiens de la seconde génération sont dans une situation identique à la nôtre : ils n’ont pas connu Jésus, car pratiquement tous ceux qui ont été en contact avec lui sont morts, et ils ne peuvent atteindre le message de Jésus qu’à travers des témoignages,  qui ont déjà été l’objet de constructions et d’interprétations théologiques. Il est évident par exemple que la prière de Jésus dont nous venons de lire un extrait n’a pas été dactylographiée, en direct, in live, comme on dirait aujourd’hui ; elle est le fruit d’une réflexion sur l’enseignement du maître, certes avec l’assistance de l’Esprit qui a été promis par Jésus à ses disciples. Il n’en reste pas moins, que les premières communautés  qui le reçoivent,  intègrent cet enseignement dans la foi, c'est-à-dire en faisant confiance, à ceux qui ont été en contact avec le Christ, exactement comme nous aujourd’hui.

     Autre similitude entre la communauté johannique et la nôtre : elle vit sa foi dans un milieu peu favorable à la réception du message du Christ. Comme aujourd’hui, les préoccupations matérielles étouffent les aspirations spirituelles. Ou alors on est prêt à recueillir auprès des devins ou des cartomanciennes des recettes sensées répondre aux inquiétudes et aux doutes. Quant aux religions gréco-romaines, elles se résument en un ensemble de rites simples destinés à s’attirer la faveur des divinités sans prétendre à transformer les cœurs. On est dans le donnant-donnant : je te donne une prière, je fais une offrande, tu me donnes ce que je te demande. Finalement, pour beaucoup, la religion fonctionne comme cela  encore aujourd’hui….

     Dans ce milieu spirituellement pauvre, quelques hommes et femmes, pour la plupart préparés par la pratique du judaïsme, ont pourtant été séduits par la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ qui parlait à leur cœur, et ils sont devenus ses disciples. C’est pour eux que l’Evangile de Jean a été écrit. Ils entendent cette prière du Christ : « Père….Comme tu m’as envoyé dans le monde, je les envoie dans le monde ». Ils prennent alors conscience que la Bonne-Nouvelle n’est pas leur propriété, mais qu’ils ont le devoir de la transmettre. A leur manière, dans le contexte difficile où ils se trouvaient, ils ont fait leur devoir de missionnaires. Et nous, ce matin, en lisant cet Evangile qu’ils nous ont transmis,  et qui nous parvient plus de dix-neuf siècles après, nous recevons la même invitation : Jésus nous  envoie aussi « dans le monde ».

     Une invitation et un appel à réfléchir sur la manière d’être messagers de la Bonne Nouvelle aujourd’hui. A chaque génération  il appartient d’inventer sa façon de vivre et de communiquer l’Evangile. C’est d’ailleurs dans cette démarche que nous engage tout particulièrement notre Eglise Protestante Unie, cette année. Elle propose à toutes les communautés de réfléchir sur « La mission de l’Eglise et les Ministères ». Nous aurons à revenir sur ce thème dans la paroisse. Transmettre l’Evangile est une affaire personnelle de témoignage, mais aussi une mission d’Eglise. Tâche difficile que celle de « contextualiser » (mettre en contexte) l’Evangile N’oublions pas cependant que Jésus a prié pour nous son Père en nous envoyant en mission dans le monde. Il ne nous laisse pas livrés à nous-mêmes.

 

II - Etre dans le monde sans être du monde.

« Le monde les a haïs, parce qu’ils ne sont pas de ce monde… Je ne te demande pas de les ôter de ce monde mais de les garder du Mauvais… Ils ne sont pas du monde, comme je ne suis pas du monde » (v. 14-16).

Ces phrases  qui comportent une pensée antithétique ont besoin d’être expliquées et bien comprises. Le danger en effet serait de ne retenir qu’un des éléments de l’antithèse : être dans le monde, engagés ou bien se tenir hors du monde, à l’abri. Or le Christ invite le chrétien à tenir les deux bouts de la chaîne. A son exemple.

     Qui osera nier que Jésus ne s’est pas engagé. « Lui qui était Dieu  n’a pas gardé jalousement le rang qui l’égalait à Dieu » comme le disait Paul. Il était homme, totalement homme, non pas en faisant semblant comme le laissait entendre une vieille doctrine chrétienne, le docétisme. L’humanité, il l’a assumée  dans la première partie discrète de sa courte existence. Homme il l’a été dans les mois ou les années de son enseignement (sa vie publique) : les Evangiles sont plein des témoignages de sa proximité avec ceux de sa nation et des contrées voisines, de manière plus particulière avec les pauvres, les méprisés, les exclus. Homme enfin, il l’a été dans son supplice, volontairement accepté, dans l’abandon de ses proches, dans le silence de Dieu, dans sa mort atroce.

     Et pourtant, celui qui était dans ce monde, totalement, a montré qu’il n’était pas de ce monde, dans ce qu’il avait d’injuste, de cruel, de pervers. Il n’a pas hésité à dénoncer l’hypocrisie, les faux semblants, la cruauté, la cupidité, l’abus de pouvoir, tout ce qui divise, déchire, avilit, déshumanise.

     Dans sa prière, adressée à son Père, il invite  ses disciples à ne pas s’absenter du monde et à rester dans un entre soi douillet en évitant de s’engager : rien voir, rien entendre, rien dire. « Père, je ne te demande pas de les ôter de ce monde.» Bien au contraire, il le leur rappelle (il nous le rappelle) « comme tu m’as envoyé dans le monde, je les envoie

     De la même manière que Jésus était dans le monde et en désaccord avec les turpitudes et les compromissions qu’il dénonçait, ses disciples, de tous les temps ne peuvent être complices de ce qui est en désaccord flagrant avec le message de l’évangile. Voilà pourquoi ils s’exposent à être rejetés Très conscient des conséquences de ce que la fidélité à son message entraine, Jésus prie son Père : « Je leur ai donné ta parole et le monde les a haïs parce qu’ils ne sont pas du monde » et il le supplie de « les garder du Mauvais ».

Les chrétiens du cercle johannique avaient besoin d’entendre tout cela, eux qui étaient confrontés à un monde si éloignés du message du Christ. Nous aussi, nous sommes confrontés à des difficultés non pas semblables (le monde a tellement changé) mais analogues, si nous voulons vivre selon Christ et témoigner de lui. Un simple exemple : auparavant, ce n’est pas si vieux, disons au début des années 60, la religion fournissait un cadre aux activités humaines et aux pratiques sociales, après des siècles de christianisation plus ou moins réussie. La religion définissait des valeurs et des règles qui s’imposaient au plus grand nombre. Aujourd’hui, la société est autonome par rapport aux normes religieuses. Chacun est libre de ses choix. Ce n’est pas un mal, bien au contraire, à condition de ne pas nous laisser emporter par les modes de pensées ambiantes et à nous affadir. Il faut apprendre à retrouver l’essentiel du message chrétien authentique et à le prendre pour norme de vie, au risque de ne pas être compris, voire d’être critiqués ou rejetés.

 

III - « Consacre-les par la vérité : ta parole est vérité » (v. 17)

Etre dans le monde, sans être du monde. Maître Eckhart, un mystique allemand, théologien réputé du Moyen-âge (pas très bien en cour à Rome), qui enseigna à Paris et Strasbourg au tour des années 1300, écrivait : « Les amis de Dieu se tiennent avec le souci, non pas dans le souci, de telle sorte que les tempêtes de l’existence ne plient pas la cime la plus élevée de l’esprit ». Vivons donc avec cette distance critique sans succomber aux appels discordants qui retentissent à nos oreilles : c’est en Dieu, dont Jésus  est le témoin et l’image, que nous puisons notre force et notre liberté. J’ajouterai aussi notre sérénité.

Difficile d’être chrétien aujourd’hui ? Certainement pas plus qu’autrefois. En tous cas, il me plait d’entendre cette phrase de la prière  de Jésus en forme de promesse : « Je dis cette parole pour qu’ils aient ma joie dans sa plénitude.» (v. 13). Peu importe donc la difficulté à vivre selon Christ et à en  témoigner, si doit habiter en moi la joie en plénitude.  « Les amis de Dieu vivent  sans doute avec le souci », c’est à dire les mille difficultés et tentations  de la vie, comme le disait Maître Eckhart, avec « mais pas dans le souci » car ils savent sur qui  s’appuyer. Dans la foi, ils sont confiants en la prière de leur Seigneur : « Père … consacre-les par la vérité : ta parole est vérité. » (v.17). Cette vérité dont le même Evangile de Jean nous dit qu’elle nous rend libres. Libres  intérieurement de nos passions, de nos doutes, libres devant les pressions extérieures et les menaces. « Si vous demeurez dans ma parole,, vous êtes vraiment mes disciples, vous connaitrez la vérité et le vérité fera de vous des hommes libres. » (Jean 8, 31).

Amen.