15/08/2021 prédication Joëlle Almeras

CARCASSONNE

Dimanche 15 août 2021

PROVERBES 9, 1 - 6

JEAN 6, 51 - 58

 

Introduction : Une invitation. Une invitation à se réunir autour d’une table joyeuse et garnie d’une nourriture d’exception, originale et inclassable, c’est le moins que l’on puisse dire. Une invitation envoyée pas seulement aux personnes qui seraient fréquentables, raisonnables et bien dans les clous de la société. Une invitation qui, il faut le reconnaitre, sort fichtrement de l’ordinaire : la Sagesse en appelle aux « naïfs » et à « ceux qui sont dépourvus de raison ». Qui se voit ainsi dans son miroir intérieur et donc se prépare à y répondre ? Jésus lui en appelle à celles et ceux qui sont à la recherche d’un repas « autrement », si j’ose le dire ainsi : manger du pain « vivant », manger la chair d’un homme et boire son sang… ouh……….

Évidemment, le repas proposé n’est pas celui d’un restaurant de chez nous, les terriens, quoique… mais de celui de l’auberge du Grand Chef Céleste, aux millions d’étoile, au moins. Un repas où des milliards d’invité(e) s, réuni(e)s dans le monde entier sont convié(e)s ; et les suites du repas n’ont rien à voir, là, avec ceux que connaissent les fêtards, vous savez, ceux dont le livre des Proverbes dit : « Pour qui les Ah ? Pour qui les Hélas ? Pour qui les querelles ? Pour qui les plaintes ? Pour qui les blessures sans cause ? Pour qui les yeux rouges ? ».

Parlons d’abords de l’invitation de la Sagesse, puis nous passerons à la table du Seigneur, avec ses « effets digestifs » ébouriffants, et nous ferons une courte pause sur une remarque de Calvin. C’est Roger Chapal avec son livre « les couleurs de la joie » qui fera notre conclusion.

 

1) invitation de la sagesse : « Venez manger ma nourriture, venez boire le vin que j’ai préparé !  Quittez votre bêtise et vous vivrez ! Prenez donc le chemin de l’intelligence ! » Etonnante invitation ! car partager ce repas c’est entrer dans un processus qui n’est pas exclusivement digestif. On mange, (la sagesse est cuisinière), on boit (la sagesse devient viticulteur et œnologue). C’est comme au restaurant. Mais dans un restaurant normal, au dessert, tout serait dit et joué. Enfin… malheureusement, les effets secondaires du repas, je devrais dire, les effluves peuvent prendre une tournure désastreuse. Et cette fin devient alors le commencement de ce que nos contemporains appellent « la fête ». Ils « font la fête »… expression qui m’a stupéfiée dans la bouche d’un de nos athlètes nationaux, quand il a précisé de quoi il s’agissait. Là l’humain n’est plus qu’un corps en digestion dont le cerveau est neutralisé. Le corps seul, le plaisir, le désir, parfois la débâcle avec ses excès. Les cellules grises sont en berne.  Un repas où les yeux et les cœurs sont atteints d’une espèce de cécité gastronomique qui nous enfermerait dans l’étroit périmètre de nos ventres repus et satisfaits, périmètre fort limité, vous en conviendrez.  Ce n’est pas ce que nous propose la sagesse : « Quittez votre bêtise et vous vivrez ! Prenez donc le chemin de l’intelligence ! »

La sagesse, elle, invite à un repas où le plaisir de la table, s’il est réel, ouvre à une réflexion sur la vie. Elle sert des plats qui attisent les liaisons synaptiques et loin d’embrumer notre capacité de réflexion, elle stimule notre aptitude à réfléchir et à raisonner. « Prenez le chemin de l’intelligence ».

Un repas d’où l’on ne sort pas idiot si je puis dire. Un repas interactif où la cuisinière ouvre la porte à un cheminement que les convives vont vivre activement et volontairement. Notez cependant le : « PRENEZ » le chemin de l’intelligence. Un impératif surprenant pour un partage convivial de nourriture et de boisson… C’est parce que la table de la Sagesse n’est pas une table ordinaire et ce ne sont pas seulement les sens charnels qui sont en éveil mais aussi les profondeurs d’un désir autre que celui des yeux et du ventre. En nous, le fils et la fille de Dieu sont présents au banquet de la Sagesse. Pendant ces agapes, les plats ne nous alourdissent pas, les vins ne plombent pas nos facultés de raisonnement, au contraire ils les dynamisent. Voilà donc une table idéale.

 

2) la table de Jésus : Le Maitre, notre Maitre, lui aussi met devant nous, sur la table où il nous convie, une nourriture unique, un mets pour l’être tout entier, un pain dont nous ne sommes, dont nous ne serons jamais rassasiés : le pain de vie.

- Dans le passé, le pain était la nourriture de base. On disait même : le pain, c’est sacré. Et dans ma famille, par exemple, ma grand mère ne le posait jamais sens dessus dessous…  Jésus, lui-même nous a appris à prier pour que notre Père nous donne notre part de pain chaque jour. Et au début du chapitre 6, nous pouvons lire l’épisode de la multiplication des pains. Jésus sait que nous avons besoin de pain pour vivre, il ne méprise pas le corps, il donne à manger à ceux qui ont faim. Le pain que nous mangeons construit, avec tous les ingrédients qui le composent, dans un lent cheminement de digestion, des remparts de défense qui, déposés en nous, et retravaillés par les sucs digestifs, fortifie notre corps. Mais il n’est pas suffisant.

- Si le pain du boulanger nourrit le corps, aux enfants de Dieu il faut davantage : nous sommes plus que le pain que nous mangeons. Dans le livre du Deutéronome nous lisons : « l’homme ne vivra pas seulement de pain, mais il vit aussi de ce qui sort de la bouche de Dieu ». C’est pourquoi Jésus parle du pain de vie. Le pain de vie, c’est le don de Dieu, don premier avant même que nous le demandions et le plus souvent, avant même que nous prenions conscience qu’il est vital pour nous.

 « Celui qui mange de ce pain vivra pour toujours ». La vie pour toujours… ce n’est pas celle que nous attendons des tables d’aujourd’hui où l’éphémère plaisir de nos papilles gustatives oblige à un renouvellement permanent des plats proposés : toujours plus raffinés, toujours plus exotiques, ou toujours plus régionaux ; on ne sait plus que commander tant le menu est diversifié…

La vie pour toujours… nous la recevons d’un pain qui n’est pas estampillé « poilâne ». Il fut un temps où une tranche de ce pain-là faisait lever dans celui qui la mangeait la louange et la reconnaissance. Qui aujourd’hui rend grâce pour le pain sur sa table ?

Le pain de vie, lui, nourrit l’être intérieur, il creuse aussi en nous l’espace offert à la présence du Maître. Ce pain-là, celui qu’offre le Maitre-Boulanger, nous pouvons le manger à tout moment et c’est justement parce que sa table est simple et dépouillée que le pain offert prend toute son importance : pas de complications à la table du Seigneur, c’est si simple et accessible que tous peuvent venir s’y nourrir. Et la table du Seigneur, c’est la vie en Christ.

 

3) effets secondaires : Et le repas suscite de miraculeux effets secondaires. « Ensemble, dites des psaumes, des hymnes, des cantiques qui viennent de cet Esprit. Chantez la louange du Seigneur de tout votre cœur. Remerciez Dieu le Père toujours et pour tout, au nom de notre Seigneur Jésus–Christ.[1] » Nous voilà aux antipodes de ceux que décrit le livre des Proverbes.

Ensemble : c’est le mot où je voulais en venir ce matin. Parlons donc un peu des invités qui forment cet « ensemble », voulez-vous ? Nos contemporains, pour leur plaisir, s’offrent des mets du monde entier. A la table du Seigneur, tous les pays du monde ne sont pas SUR la table mais autour d’elle. Ceux qui mangent le pain de vie, quelle que soit leur nationalité sont frères et sœurs, fils et filles d’un même Père, frère et sœur d’un même Fils, héritiers avec lui de la vie, de la vie pour toujours.

Et ce qui ne gâche rien, au banquet de la Sagesse, comme au repas du Seigneur, les convives sont joyeux, sereins, et de leurs cœurs jaillissent la louange et la reconnaissance. Roger Chapal dans son livre, « les couleurs de la joie » écrit : « comme la fissure de l’atome dégage une prodigieuse énergie, le partage des dons de Dieu irradie une grande joie ».[2] (…)

C’est l’été, nous accueillons nos frères et sœurs qui viennent d’ailleurs, parfois de loin ; ils sont venus nous dire : nous partageons le même pain ; nous sommes nourris à la même table ; comment ne pas nous réjouir ensemble ? C’est l’occasion rêvée de leur demander comment ils louent, chantent des hymnes et des cantiques. Oui, c’est le temps béni du partage fraternel, parfois avec des mots, souvent avec des gestes, enfin, par les temps qui courent, nous en sommes quelque peu privés, mais observez la table de notre Paroisse universelle (et je ne parle pas, vous l’avez compris, de celle qui est posée à l’entrée du temple ni de celle bien garnie des repas paroissiaux) : visages connus ou inconnus, sourires du plaisir de vivre ensemble la vie qui vient du pain de vie, nous chantons notre reconnaissance.

Wilfred Monod fait un commentaire magnifique à propos de la Cène mais je crois que nous pouvons extrapoler pour parler de cette communion fraternelle qui irradie la joie et la loaunge, je le cite : « quel rêveur, quel réformateur, quel anarchiste a jamais proposé d’inviter le patron et le manœuvre au même repas, pour les faire boire à la même coupe ? Et pourtant, la sainte cène opère ce miracle ; l’éboueur y porte la coupe à ses lèvres et la passe au député qui boit après lui. Dans la simplicité de cet acte sans phrase, il y a quelque chose de surnaturel (…)Cette communion que nous célébrons est un bouleversement de l’ordre social, un ferment de réformes sans limites, une image de l’humanité future, le germe de la nouvelle terre où la justice habitera[3] » (fin de citation).

 

4) Une remarque : A propos de la sainte cène, une parenthèse pour celles et ceux d’entre vous qui êtes restés sur votre faim car malgré la substance de notre lecture, j’ai laissé de côté ce qui aurait pu être l’essentiel de ma méditation. Je parle, bien sûr, de la sainte cène. J’ai souhaité m’en tenir à une remarque de Calvin reprise dans la revue Lire et dire. Je cite : « Il a noté que faire une lecture purement eucharistique de ce texte ôte à ce passage une partie de sa portée : il montre que le croyant peut être en tout temps en communion avec l’humanité du Christ particulièrement en dehors de la cène. Car si l’arrière-fond de ce texte est clairement eucharistique, son accent principal ne porte pas sur les éléments de la cène, mais sur la vie qui découle de cette communion de tous les instants avec le Christ et dont la cène est une des expressions liturgiques[4] (fin de citation) ». Il vous est toujours possible, dans les jours à venir de continuer notre méditation et de l’élargir avec ce thème, si le cœur vous en dit.  Et maintenant, fermons cette parenthèse.

 

4 ) Conclusion : Pour terminer sur ce don magnifique du pain de vie que nous avons à peine abordé ce matin, Roger Chapal décrit merveilleusement ses effets principaux et secondaires ; je le laisse conclure notre méditation. Je cite : « Ce don c’est la vie nouvelle, la vie du Royaume, dans sa globalité. C’est en même temps l’acte toujours recommencé de Dieu qui se donne. Un don qui ne peut jamais être autrement qu’en train de se donner. (…) Vivre dans la communion de l’Eglise, c’est vivre la transmission, le partage de ces dons et de leur joie. De ce fait nous sommes à chaque instant comblés par toutes les richesses que nous procure ce partage. (..) il y a des choses essentielles auxquelles Dieu n’arrive à nous rendre attentifs que lorsque nous formons une communauté unanime, une de ces communautés dont le Nouveau Testament dit qu’elles sont « un cœur et une âme ». Lorsque les échanges fondamentaux s’opèrent librement à l’intérieur du groupe, la joie se transmet et s’accroît de l’un à l’autre, non seulement celle des dons partagés mais aussi celles des grâces découvertes ensemble[5] ». A table ! Amen !


[1] Ephésiens 5, 19-20

[2] Rocher Chapal Les couleurs de la joie page 109e et suite

[4] Lire et dire p. 42

[5] Roger Chapal les couleurs de la joie p ? 1