25/07/2021 prédication André Bonnery

André BONNERY

Prédication du 25 juillet 2021, à Carcassonne.

Lectures : Jean 6, 1-15 ; Ephésiens 4, 1-6

Chants : 181 ; 317 ; 610

 

La métaphore du pain de vie

Le chapitre 6 de l’Evangile de Jean est consacré au thème du Pain de Vie. Cette expression en forme de métaphore est utilisée pour désigner ce qui est le plus nécessaire à l’existence humaine, non pas pour qu’elle subsiste biologiquement, le pain du boulanger est fait pour cela, mais pour que cette existence atteigne sa plénitude. La notion de pain de vie transcende celle de  pain tout court qui est lui-même symbole des biens matériels nécessaires à la vie biologique. Avec le pain de vie, on est donc dans une double métaphore. Jésus nous convoque à dépasser nos aspirations vitales matérielles pour nous élever au souci de la VIE dans sa dimension totale, celle que Dieu a voulue pour nous depuis toujours, depuis qu’il nous a choisis comme ses enfants. Avec ce récit, nous sommes donc invités à nous élever d’un cran dans nos réflexions et nos préoccupations du quotidien.

 

Dans ce contexte, Il ne faut pas comprendre le récit de la multiplication des pains que nous venons de lire, comme un compte-rendu circonstancié des faits et gestes du prédicateur Jésus. Il s’agit d’une composition littéraire qui a valeur symbolique. Ce récit n’est pas une narration historique, c’est un enseignement, riche de connotations, construit par l’évangéliste, à partir de faits, sans doute historiques qui ont impressionné les contemporains de Jésus.

 

Quelques exemples.

  • Dès le début, on est mis dans le bain. « Après cela, Jésus passa sur l’autre rive de la mer de Galilée » (v. 1) « Après cela » est un lien factice avec le passage précédent. Un procédé narratif coutumier chez Jean, pour passer à autre chose. Il n’a aucune valeur chronologique.

 

  • De même, la traversée vers l’autre rive du lac va se répéter deux fois en sens inverse sans qu’on puisse en apprécier la nécessité logique. Je verrais volontiers dans cette indication, la volonté de montrer que le message de Jésus s’adresse aux Galiléens juifs de la rive droite comme aux païens habitants de la rive gauche ; d’ailleurs la foule anonyme, juifs et païens confondus, dans la suite du récit, suit Jésus dans ses déplacements, scotchée à lui, comme les insectes de nuit suivent une lampe que l’on déplace.

 

  • « C’est pourquoi Jésus gravit la montagne et s’y assit avec ses disciples » (v.3) Encore une assertion symbolique. La montagne est le lieu de la rencontre avec Dieu et le tableau du maître assis, en élévation, entouré de ses disciples est un topos (lieu commun) de l’iconographie antique.

 

  • Le texte se poursuit ainsi : « C’était bientôt la fête juive de la Pâque ». On ne peut dissocier cette indication chronologique de deux allusions dans la suite du même chapitre 6, celle au peuple Hébreu nourri par Dieu avec le don de la manne (v. 31), et avec l’allusion ahurissante pour les auditeurs à la Cène et à la Passion « car ma chair et vraie nourriture et mon sang vraie boisson » (v.55).

 

Ainsi donc, les quatre premiers versets du chapitre 6, à eux seuls, nous indiquent que nous ne sommes pas, dans le récit anecdotique d’un joli miracle, ma foi spectaculaire : nourrir cinq mille personnes avec une coquetterie supplémentaire, « douze paniers de restes », alors qu’au départ on n’avait que cinq pains et deux poissons. Pour qu’on ne s’y trompe pas, Jean a bien pris le soin de parler non pas de miracle, mais de signe « à la vue du signe qu’il venait d’opérer… » que l’on doit interpréter comme tel, c'est-à-dire comme un enseignement crypté qu’il faut s’efforcer d’interpréter.

 

Interprétons donc ce signe pour aujourd’hui.

Il y avait foule, autour de Jésus, une foule de gens qui le suivaient d’une rive à l’autre de leur vie parce qu’il y avait un manque dans leur existence, une faim. Quand on n’a pas faim, on reste bien tranquille chez soi. Leur faim était mal définie peut être, ou bien précise au contraire, mais ils cherchaient à l’apaiser. C’est pour cela qu’ils suivaient un homme qui ne parlait pas comme les autres ; il leur apportait un apaisement, un espoir. Sommes-nous venus dans cet état d’âme, ce matin, au Temple ? Quand on est protestant, on n’a aucune obligation de se rendre au culte : on y vient par choix. Pas pour passer le temps ; à la rigueur pour rencontrer des amis ; mais surtout pour rencontrer un Ami qui, de dimanche en dimanche nous parle et apaise notre faim. Qu’elle est ma faim ce matin, celle qui m’a poussé à venir Rue Antoine Marty, dans cette église ? Suis-je venu entendre une parole forte qui entrera en résonnance avec ma faim et m’accompagnera durant la semaine ; suis-je venu pour trouver la paix ; une réponse à mes angoisses ; un signe de la présence de Dieu que je ne perçois plus à cause des soucis de la vie ? A vous de répondre à ces questions dans le silence de votre cœur. Jésus me voit dans cette foule nombreuse partie à sa rencontre. Il me voit avec ma faim, il voit toute l’humanité avec sa faim.

« Où achèterons-nous des pains pour que tous aient à manger ? » interroge Jésus.

Philippe baisse les bras : « deux cents deniers ne suffiraient pas pour que tous ces gens aient à manger. »

Comme lui, nous sommes tentés de baisser les bras devant toutes les questions qui se posent à l’humanité : le réchauffement climatique et ses conséquences, la pollution des océans, de l’air, de la terre les guerres, les famines, les épidémies… Comment répondre à toutes les détresses, à toutes les faims humaines ? Il y en a trop, impossible de changer quelque chose…

André tente une réponse « Il y a ici un jeune garçon qui a cinq pains d’orge et deux poissons, mais qu’est-ce que cela pour tant de gens ! » Une tentative de réponse, suivie d’un constat d’impuissance. On connait bien ça !

Et pourtant, c’est de là, de la disponibilité de ce garçon à partager son pique-nique que Jésus part. Remarquez la valeur symbolique des éléments que l’évangéliste met en relief. Le premier donateur n’est pas un riche propriétaire du coin mais un ado qui sort de l’enfance, qui ne possède que le strict nécessaire ; il possède du pain et deux poissons, symboles des nourritures matérielles et spirituelles, évocation à peine voilée de l’Eucharistie et du Christ qui se fait nourriture pour l’humanité (cf. JP).

 

Alors, Jésus commence par rendre grâce et par partager. Regardons bien ce signe qu’il nous adresse. Oublions le miracle et voyons le signe que le Seigneur nous fait ce matin. Des faims, des misères, il y en a en moi, il y en a partout. Ne nous laissons pas accabler par l’ampleur du désastre. Commençons d’abord par revêtir les habits de l’enfance, laissons de côté nos pesanteurs d’adultes blasés et las. Puis, comme Jésus, rendons grâce : « il prit les pains, rendit grâce et les distribua. »(v.11) Réalisons que nous avons déjà beaucoup de dons de Dieu et de bienfaits à notre disposition ; ouvrons les yeux et rendons grâce pour tout ce que nous avons de bien entre nos mains, et partageons.

 

La faim de l’humanité commencerait, à coup sûr, de s’apaiser, si nous mettions au service du Christ, qui a choisi d’avoir besoin de nous, un peu de ce que nous avons de meilleur et de ce que nous savons faire de mieux :

  • Dieu seul crée, mais c’est à nous de mettre en valeur sa création, de la révéler, de la magnifier.
  • Dieu seul aime mais c’est à nous de montrer son sourire sur notre visage. S’il est intense, on le verra, même au travers du masque.
  • Dieu seul peut pardonner mais c’est à nous de transmettre son pardon en nous débarrassant des rancœurs et des envies de vengeances.
  • Dieu seul peut apporter la paix dans les âmes et dans la société, mais il nous revient d’être tolérants et respectueux, d’éviter de semer la discorde. Attention, Dieu ne nous demande pas d’être d’accord avec tout, par faiblesse, pour ne pas avoir d’histoires... Un chrétien n’est pas un mou. Il doit avoir des convictions, mais sans agressivité. L’agressivité est une forme de violence ; elle est ennemie de la paix.

En conclusion

Nous terminerons la prière d’intercession par le Notre Père :

« Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour ». Dieu seul peut apaiser la faim des âmes, la faim de l’humanité, mais Il a besoin de nos cinq pains et de nos deux poissons pour que se réalise le signe de l’avènement de son Royaume, aujourd’hui. « Que ton règne vienne. » Amen.