24/10/2021 prédicaion Philippe PERRENOUD

Marc 10, 46-52  Carcassonne  24 nov 21

dépasser nos frontières                                                          

 

            Ce récit de guérison d'un aveugle nous parle d'un épisode d'il y a 2000 ans, mais bien sûr aussi toujours pour nous... en l’occurrence de nos regards...

            Que se passe-t-il en effet ?

 

            Ce récit est situé à Jéricho. Comme pour beaucoup de récits, un tel détail peut sembler anecdotique, anodin, voir inutile pour nous... Or s'il nous est rapporté, c'est non seulement pour situer l'histoire qui s'est passé, mais surtout nous donner un sens, une signification symbolique aussi.  

            Jéricho est une ville frontière, importante pour cela : comme elle le fut lors de l'entrée de Josué, puis lors de l'épisode avec Zachée ; puis le parcours du « bon samaritain », qui s'y rendait, Comme pour nous dire un parcours qui élargit les dimensions de notre foi... Une frontière géographique, donc, mais aussi mental, sociale... Jésus franchit cette, ou ces frontières : ici, comme nous allons le voir, et à tant d'autres reprises.

            D'autant plus qu'il y a d'emblée une mise en mouvement. Dès le début de notre passage, il y a des verbes de mouvements. Ainsi qu'au début et à la fin, la mention du chemin.

            Nous avons à faire ici à un beau récit de passages, et même de changements.

 

            Ainsi, les personnages évoluent. Tout d'abord des gens mal définis : la foule, beaucoup, « on ».  Cela pourrait être n'importe qui... éventuellement chacun d'entre nous...

            Or ces gens semblent dans un premier temps faire obstacle à la rencontre ; même si c'est involontairement. Jésus passe ainsi une première frontière : il doit franchir cette première barrière pour atteindre ce (ou plutôt celui) qu'il veut. pour prendre en compte ce cri de l'aveugle, Jésus doit aller à l'encontre de la foule qui voulait le faire taire. Dans un premier temps, personne n'a en effet envie de voir et de s'intéresser aux exclus. Il y a là un contraste : la foule qui veut qu'il se taise, et Jésus qui dit ; et qui dit : appelez-le. Jésus parle. Bien plus : il met les autres à contribution : il demande d'appeler. Jésus n'est pas celui qui fait tout à notre place... A son tour alors, la foule appelle, elle aussi : premier changement, qui n'est pas le moindre...

 

            Autre personne qui évolue beaucoup dans ce récit : Bartimé.

Au début, il est : aveugle, assis, et au bord du chemin, et en train de mendier.

A la fin du récit, il est voyant, levé, sur le chemin (et non plus au bord),  pour  suivre Jésus.

L'aveugle, au début, est exclu. Il fait un bond ; il est sur le chemin. Il suit Jésus. même avant de voir, physiquement, il est sur le chemin. Il n'est plus statique ; il est mis en mouvement, en vie. Le verbe qui l'appelle est le même que celui qui désigne la résurrection : lève-toi, réveille-toi. Autrement dit

–    au début, Bartimé cherche simplement de quoi subsister ; il mendie, réclame pitié, en exclu

–    Mais il demande à être guéri, de façon plus profonde : il appelle, il prend des risques pour rejoindre Jésus : il bondit, court, même sans voir. Il va au-delà de ses limites supposées. Il abandonne ses peurs (comme le symbolise sans doute le fait qu'il jette son manteau)

–    il est donc non seulement guéri ; il est sauvé, selon les termes même de Jésus.

 

            L'aveugle, dans le dialogue, devient discret. La foule aussi ; l'un et l'autre s'effacent. Ce qui compte, c'est au-delà : l’œuvre de Dieu pour chacun/e...

 

            L'aveugle, mais la foule aussi, ont chacun été transformé. La foule a aussi un rôle discret, de facilitateur, finalement, qui n'est pas à négliger. Comme dans tous nos lieux de vies, il y a des personnes discrètes qui permettent aux choses de se vivre, voir même simplement d'exister. Mais qui font cela dans une telle discrétion (quand ce n'est pas ds l'ombre...) qu'on en oublierait facilement jusqu'à l'existence...

 

            L'aveugle pouvait bien-sûr être soupçonné d'une démarche intéressée... Et c'est le cas... Mais que ferions-ns à sa place ?? Que ferions-ns à la place de tout ceux qui nous sollicitent ??

            Il y a une démarche de foi chez lui, mais sous-jacente. C'est Jésus qui la révèle, l'évoque. Lui pas...  Ce n'est pas une condition préalable ; il répond simplement à un appel. Ce qui n'est pas rien, donc...

           

            Et il reçoit finalement autre chose : quelque chose auquel il n'aurait peut-être pas pensé tout d'abord ; une reconnaissance, une dignité.

 

            Jésus ne répond pas à la demande de l'aveugle par une rengaine, une leçon de morale, mais il cherche sa demande : que veux-tu que je fasse pour toi ?  pour toi : c'est selon la situation de l'autre...

            Il ne s'agit plus, comme au début, de crier et de pitié, mais d'une relation et de dialogue. Tout comme de nos jours toujours, et tout ceci, évoqué jusque là, avec en arrière-fond l'action importante faite ici avec la distribution de repas... Le plus difficile et le plus important, devant des SDF et autres mendiants, est d'avoir une relation. C'est beaucoup plus important et souvent plus difficile que de simplement donner une pièce. Je dois dire avoir aussi  souvent de la peine à faire cela... ne serait-ce qu'un regard, sans parler d'une parole, sans parler d'un dialogue... Or c'est sans doute le plus important ; et ce qu'ils demandent le plus...  Car c'est dans cette reconnaissance que nous existons vraiment en tant qu'êtres humains...

            En tant qu'êtres humains, c'est donc ds une dimension communautaire que cela se vit toujours. Difficile, voire même impossible, de concrétiser seul cette dimension personnelle, d'échanges, avec des SDF... D'où, à nouveau, l'importance de ce que vous faites ici. De telles actions ne peuvent bien se faire que collectivement.

 

            Bien plus : collectivement, grâce aux relations que nous mettons en place et qui nous permettent de nous appuyer les uns sur les autres, et de connaître nos interlocuteurs (comme Jésus l'exprima en demandant que veux-tu que je fasse pour toi ?  pour toi). Bien plus : Jésus ne lui demande rien d'autre. Il ne lui demande  même pas s'il est croyant, pratiquant, etc... Il lui dit pour toi . C'est personnel.Là aussi est la communauté humaine, l'universalité : elle commence par chaque homme et chaque femme, qui a droit au même regard... Aïe, ouf... :  l'universalité n'a vraiment rien d'évident. Chacun de nous porte en lui le risque quotidien de porter atteinte à cette universalité de la dignité humaine. Même si certains courants de pensée ou de gestion en font leur fond de commerce, nous savons que nous avons tous en nous ce risque...

 

 

            Ce qui compte, c'est la personne : toujours au-delà des étiquettes, des clichés que l'on a forcement. Nous sommes aimés, avec nos limites, nos aveuglements. Dieu qui nous connaît ainsi, ne nous condamne pas pour autant ! Il nous appelle, veut nous sauver ; et que nous en soyons relais.

            Tel est le regard que nous pouvons aussi porter, puisque nous pouvons aussi retrouver cette vue-là, à sa suite...

 

            Rappelons-ns toujours qu'un tel passage n'est pas un mode d'emploi pour la distribution de la soupe ; ou autres objectifs que devrait à tout prix remplir tous les chrétiens... Etre chrétien ne se limite pas à cocher une liste de Bonnes Actions...

            Il s'agit là de l'attitude de Notre Seigneur envers nous...

            Et comme pour toute démarche de foi, ds notre foi, il ne s'agit pas avant tout de culpabiliser, d'être gouvernés par des culpabilités, mais d'un regard de Grâce : parce que posé sur nous, sur tous, par Notre Seigneur, nous sommes nous aussi appelés à le poser tant bien que mal sur les autres, sur tous...

 

            Amen