30/01/2022 prédication André Bonnery

Prédication à Carcassonne lors du culte du 30 janvier 2022

Prononcée par André Bonnery.

D’après Luc 4, 21 à 30

 

La péricope de l’Evangile de Luc que l’on lit aujourd’hui  a été coupée en deux. Luc 4 1-20 a été lu la semaine dernière et nous lisons aujourd’hui Luc 4, 21-30. En fait il s’agit du même épisode : la première prédication de Jésus à Nazareth.

 

Jésus est accueilli dans la synagogue de Nazareth.

Je vous en rappelle le contexte. On est au début de la vie publique de Jésus. Il commence sa prédication, accompagnée de nombreux miracles, en Galilée. Il se rend à Nazareth, sa patrie, le village « où il a été nourri » précise Luc. Il ne s’agit pas uniquement de nourriture matérielle. Un enfant grandit aussi avec l’enseignement et l’éducation qu’il reçoit, c’est pourquoi la TOB préfère dire : « là où il avait été élevé ».  Moi aussi j’ai été élevé dans un village et je me souviens que les parents, très attentifs à notre éducation, n’étaient pas les seuls à l’assurer. Lorsqu’ils devaient s’absenter, les voisins se chargeaient de nous surveiller et, au besoin de nous remettre dans le droit chemin. C’était une époque où il n’y avait ni télévision, ni jeux vidéo, ni tablettes, ni portable et les enfants, en dehors des temps d’école, jouaient dans la rue.  J’oserais dire que le village était un milieu d’éducation fermé où tout le monde se connaissait et savait ce que l’autre faisait. Un peu trop peut-être.  On sent cette promiscuité de gens qui se connaissent dans la réflexion de Luc : « son père ne s’appelle-t-il pas Joseph ? » Tandis que Marc et Mathieu parlent de « ses trois frères et de ses sœurs », ce qui faisait une belle famille nombreuse. Jésus était donc loin d’être un inconnu à Nazara, forme rare de Nazareth, précise la TOB. Pour ma part je me demande si on ne disait pas alors Nazara comme nous disons Carca pour parler de Carcassonne… !

La chronologie adoptée par Luc pour débuter la prédication de Jésus semble intentionnellement faussée. En effet si Luc fait allusion à son premier enseignement au bord du Lac de Galilée, il place la prédication à Nazareth avant celle à Capharnaüm. Marc et Matthieu font le contraire. Cette inversion de la chronologie n’est sans doute pas anodine, nous le verrons tout à l’heure.

Jésus est donc venu chez lui, dans son village d’origine, et le samedi il se rend, comme de coutume dans la synagogue. C’était un Juif pieux et pratiquant régulier. Au début, tout se passe bien. Il est accueilli avec une certaine déférence : après tout, c’est un « pays » qui a du succès dans la province, on commence à parler de lui. Et puis il y a ces prodiges qu’il accomplit… ailleurs ! S’il pouvait en faire autant, ici ? Pour ce qui est du commentaire des Ecritures, on lui fait confiance : bien souvent, il est intervenu dans cette synagogue où il a appris à lire et à écrire. Il est instruit et sage. Voilà pourquoi on l’invite à commenter un texte d’Esaïe qu’il a choisi. On vous l’a dit, ici même, la semaine dernière, Jésus commente un passage du livre du grand prophète. Le résultat c’est que : « tous lui rendaient témoignage et s’étonnaient du message de grâce qui sortait de sa bouche. » Ils s’étonnaient d’autant plus que l’on connaissait bien celui qui parlait, même sa famille se trouvait probablement dans l’assistance.

Ils le connaissaient bien, trop bien peut-être ! Et c’est là que commence le problème… Il n’est pas facile d’accepter qu’un proche, quelqu’un que l’on a connu comme gamin, vienne donner des leçons. Et puis, est-ce qu’il ne se prendrait pas pour le Messie ? Pourquoi le choix de ce texte : « L’Esprit du Seigneur est sur moi parce qu’il m’a conféré l’onction ». Après tout ce qu’on dit de lui, en bas, au bord du Lac… Suspect !

 

La suspicion s’installe.

Il est probable que Jésus a senti des réticences, puis de l’hostilité au fur et à mesure qu’il parlait. Dans une synagogue, le culte pouvait durer des heures et il n’en faut pas beaucoup pour que le climat change. Le jeune prédicateur passe à l’attaque. Il provoque en disant tout haut ce que ses auditeurs pensent. « Surement, vous allez me citer ce dicton : Médecin guéris-toi toi même. Nous avons appris ce qui s’est passé à Capharnaüm, fais en donc autant ici, dans ta patrie »

Jésus n’est ni médecin ni malade, mais les gens veulent le voir à l’œuvre ici, chez eux. On dit tant de bien de ses capacités de guérisseur et de sa compassion pour les foules. Eux aussi, ils ont des malades. Pour eux aussi, la vie est dure. Tout leur pays est malade, malade de l’occupation des Romains, malade des injustices et des impôts trop lourds, des caprices d’un roi cruel et imprévisible, du travail précaire (voir la parabole des ouvriers attendant d’être embauchés). Que Jésus fasse quelque chose chez lui et on le suivra, peut-être.

Tout cela s’est passé dans la tête des gens, à la suite d’un huis-clos lourd, entre les quatre murs de la synagogue, au terme duquel Jésus a estimé que ses compatriotes n’avaient pas une bonne mentalité. Ils n’en avaient rien à faire de son commentaire de l’Ecriture. Ce qu’ils voulaient, c’était du solide : des guérisons, un salaire, du pain, du travail, la sécurité. Au bord du Lac, on l’écoutait avec ravissement, on était reconnaissant de ses bienfaits, on sentait l’air frais de la Bonne Nouvelle qui libère les hommes et les femmes. Ici, sur la colline de Nazara, on voulait des prodiges, comme en bas, sur les rives de la Mer de Galilée. Non, décidément, ses compatriotes ne comprendront rien. Ils ne pourront jamais entrer dans les vues de Jésus. Pour eux, la Bonne Nouvelle ne sera jamais que de l’assistanat. Alors, il pousse encore plus loin la provocation :

« Oui, je vous le déclare, aucun prophète ne trouve accueil dans sa patrie. Il y avait  beaucoup de veuves en Israël, au temps d’Elie alors que sévissait la famine…. Pourtant ce ne fut à aucun d’entre elles qu’il fut envoyé mais dans le pays de Sidon, à une veuve de Sarepta. Il y avait beaucoup de lépreux en Israël, au temps du prophète Elisée, et pourtant aucun ne fut guéri mais bien Naamân le Syrien. »

Les auditeurs n’y tiennent plus, ils sont furieux. Jésus leur refuse ce qu’il donne aux autres, et en plus il se prend pour Elie et Elisée, après avoir laissé entendre qu’il était le Messie « l’oint de Dieu », selon Esaïe. La conclusion est d’une extrême violence. « En entendant ces paroles, ils se levèrent et le jetèrent hors de la ville et le menèrent jusqu’à un escarpement de la colline sur laquelle leur ville est bâtie, pour le précipiter en bas. »

Nazareth est, en effet, bâti sur un éperon rocheux à 500 mètres d’altitude, dominant la grande plaine qui joint la côte à la vallée du Jourdain. Les gens de Nazareth s’apprêtaient donc à faire subir à leur compatriote le supplice que les Romains infligeaient aux condamnés en les précipitant du haut de la Roche Tarpéienne, sur la colline du Capitole. Sauf qu’à Rome il y avait un jugement. Ici, il s’agit d’un véritable lynchage. Comment la chose était-elle possible dans ce peuple civilisé qu’étaient les Juifs ? Civilisés, sans doute, sauf qu’en l’occurrence il s’agissait d’une affaire de blasphème et, dans ce domaine tout était permis. Jésus s’était pris pour le Messie, le Fils  de Dieu et ce blasphème les mettait à l’abri de toute poursuite pour meurtre.

Pourquoi ses accusateurs ne sont-ils pas allés jusqu’au bout ? « Mais lui, passant au milieu d’eux, il allait son chemin » nous dit Luc. N’ont-ils pas osé le pire ? Ou bien sa prestance était telle qu’ils furent impressionnés ? A moins que ce ne soient ses frères qui aient calmé le jeu… On peut tout imaginer. En tous cas, le seul miracle que Jésus accomplit ce jour là à Nazareth, ce fut d’avoir échappé à la mort.

L’épisode du début de la mission d Jésus, à Nazara, est à mettre en relation avec celui de sa dernière mission à Jérusalem. Dans les deux cas, il se trouve en présence de gens qui attendent de lui autre chose que ce pour quoi il a été envoyé pas son Père : des miracles, une vie plus facile, la libération du pays de ses occupants. Dans les deux cas, il est condamné parce qu’il a laissé entendre qu’il était le Messie, l’envoyé de Dieu. A la fureur des Nazaréens qui veulent le précipiter du haut d’une falaise, répond celle des gens de Jérusalem qui réclament sa mise en croix. Nous avons maintenant la réponse à la question posée au début : Pourquoi Luc a-t-il voulu faire commencer la mission de Jésus par un échec à Nazareth, quitte à tordre un peu la chronologie ? C’est pour placer sa vie publique entre deux échecs… apparents.

 

Ne pas se tromper sur la signification de la Bonne Nouvelle.

Mais alors, dans quel but ? Il importait à l’évangéliste de montrer qu’il ne faut pas se tromper sur la finalité du plan de Dieu. Il n’envoie pas son Fils pour résoudre nos problèmes quotidiens matériels, grands et petits. C’est aux hommes de s’attaquer à cela. Dieu envoie son Fils dans le monde pour libérer les hommes de leurs aveuglements, de leur impossibilité de choisir le bien, de leur manie de semer la division, de leur propension  à rechercher leurs intérêts personnels d’abord, avec pour résultat le mépris et la multiplication des injustices. « L’Esprit du Seigneur m’a conféré l’onction pour annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres, il m’a envoyé proclamer aux captifs la libération et aux aveugles le retour à la vue. » Voilà le sens de la venue du Messie. Jésus vient de Dieu dont il nous dit qu’il est son Père. Il vient aussi pour dire qu’il est un Père aimant pour tous les hommes. Il dit qu’il veut leur donner sa Vie, la vraie. Il dit qu’il est le Dieu patient du pardon. Jésus veut annoncer cette Bonne Nouvelle à Nazareth mais il est rejeté et il frôle la mort. Cela ne l’arrête pas, il passe au milieu de ses détracteurs et il rejoint ses disciples au bord du Lac, pour poursuivre sa mission.

Quelques mois plus tard (deux ou trois années tout au plus), à Jérusalem, on se saisit de lui et il est mis à mort pour les mêmes raisons qu’on a voulu l’exécuter à Nazareth. Mais rien ne l’arrête. De même qu’il a passé son chemin à Nazara, de même il passe au travers de la mort à Pâques, et il rejoint ses disciples à Emmaüs, au Cénacle et au bord du Lac. Puis, il retourne à son Père.

Entre temps, il a délivré son message, il a ouvert des yeux, il a redressé des infirmes, guéri des lépreux. Des disciples ont recueilli ce message et après plus de vingt siècles, il retentit, ce matin, dans ce temple. Quelle leçon d’espérance !  Nous doutons parfois devant la manière dont le monde fonctionne et nous désespérons que les choses changent. Mais non, la Bonne Nouvelle a été semée et la semence pousse sans bruit, sous l’action de l’Esprit de Jésus, quoi que nous fassions. Jésus a vaincu le mal et la mort à jamais. Voilà notre espérance. A nous de dire et de vivre cette Bonne Nouvelle.

Amen.