27/02/2022 prédication Jean Pierre Pairou

LUC 6,39 à 45

 

Nous voici dans la suite du discours de Jésus à ses disciples, peuple de la Judée, de Jérusalem, de Tyr et de Sidon. Tl s'agit donc d'un enseignement destiné à tous. Une remarque est possible sur la différence entre le "discours sur la montagne" chez Matthieu et " l'endroit plat" décrit par Luc. Nous passons de la symbolique de la montagne, lieu de rencontre avec Dieu à un espace où la foule est centrale, à un point tel que la montagne ne peut l'accueillir. Il s'agit là, d’un enseignement élargi à tous et donc à l'humanité entière. Notre texte suit ce que la tradition nomme " les béatitudes" et la prédication de " l'amour des ennemis" (mission qui nous semble impossible). Il est aussi demandé de ressembler à Dieu " Soyez généreux comme votre Père est généreux".

Puis viennent les paraboles. Qu'est-ce qu'une parabole ? J'aime rapprocher ce terme de celui que nous utilisons pour les instruments qui accrochés à nos immeubles, nous permet de recevoir ce que sans eux nous ne pourrions capter. Ce mot renvoi au verbe qui a la même racine (paraballo) et qui signifie s'approcher, faire la traversée.

Tentons de faire la traversée de ces trois paraboles et de voir ce qu'elles nous disent et en quoi nous sommes concernés. Peut-on isoler chacune d'elles ou sont-elles porteuses d'un même enseignement ?

Nous pouvons voir un lien entre les deux premières : le thème de la vue et de l'aveuglement. Dans la première il s'agit d'un aveugle et dans la seconde de la poutre dans l'œil. La question nous concerne évidemment dans la mesure où nous sommes parfois aveuglés, et aveuglés sur nous-mêmes, dans l'impossibilité de poser un œil critique sur nos façons de voir. Ceci s'applique autant sur ce que nous sommes que sur ce que nous voulons dire aux autres. Cet aveuglement est symbolisé par la poutre.

N'avons-nous pas tous une poutre qui nous empêche de nous voir nous-mêmes ? Ces deux paraboles nous renvoient à nos propres vies et nous invitent à réfléchir sur ce que nous sommes, à recentrer chacun de nous sur "qui suis-je ?" Nous sommes prompts à porter notre regard sur les autres, oubliant de le porter sur nous-mêmes. En tant que "chrétiens" nous nous voulons guides des autres et d'une certaine manière c'est là ce qui devrait être le sens de nos vies de marche derrière le Christ. Cependant, si nous ne percevons pas exactement ce que nous sommes, qui nous sommes collectivement et individuellement, nous ne dirigeons autrui et nous-mêmes que vers la chute ! Etonnamment nous sommes invités ici, non point à porter notre regard sur l'autre, mais sur nous-mêmes. Regarde qui tu es avant de porter ton regard sur l'autre et vouloir le guider après l'avoir jugé à ta mesure.

Qui suis-je ? chacun d'entre nous non seulement a sa propre histoire mais en même temps sa propre perception de sa foi comprise soit comme une vérité à inculquer à autrui (sectarisme) soit comme un cheminement auquel on invite l'autre quel qu'il soit. Cette connaissance de soi que nous sommes invités à avoir est aussi prudence à l'égard de l'autre que l'on ne doit pas entrainer vers l'aveuglement, vers la poutre dans l'œil. Ainsi doit être présente une perception relative de ma façon de percevoir le monde et de concevoir ma foi. Nul n'est détenteur de la Vérité. Il nous est demandé une mise en relativité de notre humanité, de notre individualité, de nos connaissances.

D'une certaine manière ces paraboles nous renvoient à ce commandement qui nous est donné "Aimer son prochain comme soi-même." qui lui-même nous rappelle qu'on ne peut aimer son prochain sans s'aimer soi-même. Ce qui évidemment ne renvoit pas à une forme d'égoïsme, mais qui est un respect de soi qui n'est pas toujours gagné ! On peut oublier soi-même ce que l'on est appelé à être, ne serait-ce qu'en tant qu'être humain au point d'aller jusqu'à une négation de soi qui empêche de projeter sur autrui ce que l'on porte (drogue, alcoolisme, actes criminels ou simplement honteux). Ceux-ci peuvent faire tomber cet amour de soi et empêcher de le propager sur autrui.

"Ce que dit la bouche, c'est ce qui déborde du cœur". Être aveugle, avoir la poutre qui empêche de se percevoir et de percevoir l'autre dans sa réalité, voilà ce que nous devons éviter afin de porter du fruit.

Image de l'arbre et du fruit. Image de Jésus lui-même. Tronc auquel sont attachées les branches qui donnent du fruit. Ainsi existe-t-il dans notre monde des arbrisseaux (buissons d'épines, ronces) qui constituent parfois (ou souvent) le fondement de nos fruits (nos comportements) . Nous avons tous (moi le premier), au-delà de notre foi, des opinions qui nous font agir de telle ou telle manière à l'encontre de celle-ci. Nous nous attachons à nos arbrisseaux et en faisons parfois notre raison d’agir ; ce qui nous fait porter des fruits en contradiction avec ce tronc que constitue notre foi et qui porte de vrais bons fruits.

 Cependant, cette notion de fruits portés, d'actions envers les autres soit d'une manière verbale soit concrète, n'induit-elle pas ce que l'on appelait le " salut par les œuvres " ? Parce que je porte de bons fruits, j'ai de bonnes paroles et de bons actes envers autrui j'ai du " mérite " et me rapproche ainsi de Dieu. Jésus parle plus bas de " celui qui entend mes paroles et les mets en pratique" et d'une certaine manière bâtit du solide ou de l'effondrement. Cependant il ne s'agit pas de méritocratie mais de réalité. Le symbole de l’arbre, d’une certaine manière, me semble répondre négativement à la symbolique du mérite. En effet, les branches attachées au tronc peuvent -elles seules porter du fruit ? Le tronc diffuse la sève et sans lui pas de fruits. De même seuls ceux qui sont attachés à Jésus-Christ sont capable de porter nourriture spirituelle et temporelle aux autres.

Ainsi cette image nous renvoit-elle à l'origine - le tronc- et à nous-mêmes qui, attachés à ce tronc Jésus-Christ, pouvons par sa sève, sa grâce , nourrir autrui au sens figuré comme au sens propre. Ainsi, c'est par la grâce que Dieu nous a témoigné en Jésus-Christ que nous sommes nourris et devons produire des fruits. Ce fruit nous devons le porter chaque jour comme signe de l'amour de Dieu

Maurice Zundel

« Vous êtes le Christ des autres. Ils n’ont pas d’autre Christ que vous, parce que c’est uniquement à travers vous qu’ils voient le Christ. Ils chercheront le Christ à travers vous, ils ne pourront l’aimer que dans la mesure où il sera aimable. Et c’est cela qui fait de l’Evangile la Bonne Nouvelle, parce qu’il y a là pour nous l’appel que nous adresse une générosité infinie qui se remet entre nos mains »