11/09/2022 prédication Joëlle Alméras

CARCASSONNE 11 SEPTEMBRE 2022

(reprise du culte du 24 juillet)

 

GENESE 18, 20 – 32

LUC  11, 1 – 13

 

«Père… »[1]

 

Introduction : « Père ». Qu’est-ce que j’aime cette parole de Jésus qui m’ouvre toutes grandes les portes d’une approche de la prière toute en relations d’amour filial avec le Seigneur. Daniel Bourguet écrit, je cite : « Le véritable fils est celui qui, à l’âge adulte où il peut se passer de son père, continue librement de lui dire : père ». Ce mot exprime un amour gratuit, libre, vrai, un amour reconnaissant et plein, car ainsi est le véritable amour filial : il se vit et s’exprime librement[2] » (fin de citation), une relation à double sens qui relègue aux oubliettes une prière qui serait seulement une demande pour soi.

L’épisode avec Abraham, pugnace, qui a pourtant fini par craindre de passer pour un casse-pieds et a lâché la patate avant la fin, illustre ce que pourrait être notre prière : une relation ouverte et confiante avec le Seigneur, tournée non sur moi mais sur autrui dans un échange fécond, interactif et fertile mais… avec des limites. La réponse de Jésus apporte à l’enseignement de la Genèse un élargissement conséquent.

Attardons nous d’abord sur ce mot de « Père ». Puis je vous propose d’examiner l’enseignement de Jésus sur la prière tel que Luc le propose. Enfin, si nous sommes rassemblés ici, dans ce temple, n’est-ce pas parce que nous accordons une place de choix à la prière et que nous pourrions, nous aussi, poser la même question que le disciple ? Nous en parlerons.

1 ) « Père » : Tiens ! il manque un mot dans notre texte que je ne peux, du coup, surtitrer : « le NOTRE Père ». Nous pourrions nous lancer dans des commentaires sur le manque de ce « notre » que Luc, toujours précis et pointilleux a certainement omis volontairement. Mais nous serions encore là en fin d’après midi !

Quel privilège d’avoir un « Père », non pas un Seigneur dont nous serions les serviteurs affables, serviles, voire craintifs ou pire les esclaves. Nous, nous savons que nous pouvons nous exprimer devant ce Père sans retenue aucune, et lui dire tout ce que nous portons en nous. Et contrairement à Abraham qui a peut être craint d’être catalogué « crampon malavisé rasoir et bien trop insistant », avec la perspective d’un retour de bâton de son Seigneur et Maitre, nous apprécions de nous tenir devant un « Père », aimant et dans une écoute attentionnée. Nous pouvons aller dans notre prière jusqu’au bout de ce que nous avons dans le cœur et parfois même « sur » le cœur, et ne pas lâcher la patate à 10…

Bien sûr, cette appellation de « père », j’en suis consciente, peut heurter bien des cœurs : celles et ceux qui ont eu un père indigne, celles qui voudraient du féminin dans Dieu, et que dire de la notion de paternité attribuée à Dieu pour nos frères et sœurs en humanité musulmans… Mais je suis de l’avis de Charles Wagner qui écrivait : « de tous les noms de Dieu, « père » est le moins prétentieux, le plus humble, le plus humain, le plus doux »[3]. « Père »…

 

2 ) Le texte : Entrons maintenant dans le texte.

 

- « Un jour Jésus priait dans un certain lieu. Un de ses disciples lui demanda »… En voilà des imprécisions : intemporalité, aucune localisation et même anonymat assumé. C’est rare chez Luc ! Nous ne savons pas où Jésus priait, nous ne savons pas quand il le faisait, et nous ne savons pas qui lui pose la question en dehors du fait que c’est un disciple, un disciple humble qui reconnait son incompétence et demande de l’aide, ce pourrait être n’importe qui du passé, du présent, de l’avenir, n’importe où sur notre bonne vieille terre.

La réponse de Jésus va dissiper toutes les brumes de l’introduction. Comme le dit Calvin, je cite : « nous recueillons qu’il a baillé une loi de bien prier, non point quant aux mots, mais quant aux choses mêmes, et à la substance de la prière » (fin de citation). « L’important est de se laisser traverser par l’intention vive de la prière[4] ».

 

- Que ton nom soit sanctifié…

Un nom mis à part, unique, et aussi tenu pour sacré. Olivier Abel dit, je cite : « de quelque nom qu’on l’appelle, on s’adresse ici à un « nom » qui s’absente de tous les noms, de toutes les ressemblances et identités dans lesquelles on voudrait le saisir. Ce n’est d’ailleurs pas seulement le nom de quelqu’un dont on parle, mais de quelqu’un qui nous appelle, qui nous nomme, que nous appelons ». (Fin de citation)

Dans le Lévitique, le Seigneur ordonne : « vous serez saint car moi votre Dieu je suis saint[5] ».  Dire « que ton nom soit sanctifié », ce n’est pas attendre que Dieu le fasse mais que nous nous engagions dans cette affirmation, que nous, nous sachions sanctifier le nom de Dieu[6].

 

- Que ton règne vienne… le pasteur Roger Parmentier[7] transpose le mot « règne » en « projet ». Depuis le commencement, le Seigneur a décidé de construire avec les humains un modèle de vie où l’amour, la paix, la justice, la confiance sont comme des objectifs à garder sous les yeux, ou mieux, dans le cœur. Alors quand Jésus nous apprend à dire « que ton règne vienne », il remet sur le tapis la proposition divine de départ : une collaboration active de chacune et chacun dans le projet du Seigneur pour les vivants, un projet dans la perspective d’une conclusion espérée, celle d’un « et Dieu vit que cela était bon ».

Nous lui avons dit : « Père » et comme des enfants tournés vers leur père, nous sommes dans l’espérance de la réalisation de ce projet, déjà là et pas encore, dans lequel nous sommes parties prenantes, ce que Calvin exprimait en ces termes, je cite : « le commencement du règne de Dieu en nous consiste en l’anéantissement du vieil homme afin que nous soyons renouvelés en une autre vie ». (Fin de citation).

 

- donne-nous chaque jour le pain dont nous avons besoin : certes, nous sommes faits de chair et de sang, et notre corps a besoin de nourriture. En 2022, nous savons combien cette nourriture matérielle est indispensable avec tous ses nutriments, vitamines, minéraux etc. etc.

Mais ici, dans la bouche de Jésus pour qui la nourriture essentielle est « de faire la volonté de celui qui l’a envoyé », le pain prend une autre dimension. D’autant que le grec « epousios », traduit par « quotidien » est un hapax, c'est-à-dire qu’on ne le trouve que deux fois dans les textes parallèles de Matthieu et Luc. Les traductions proposées en français reflètent la difficulté d’en saisir le sens. Selon son étymologie, ce serait un pain supra-substantiel (epi-ousia), ce qui pourrait se traduire : pain essentiel, pain spirituel. Je pense alors à cette affirmation de Jésus : « je suis le pain vivant descendu du ciel ». Mais Jérome aurait trouvé la traduction hébraïque de l’Évangile  selon Matthieu, et alors avec le mot hébreu « mahar » qui veut dire « de demain », « dans le futur », ce serait alors un pain pour la fin des temps.

Bref, pour ma part, j’en suis restée à « pain essentiel » et j’aime l’insérer dans le Pater à la place du «pain quotidien » qui ne correspond pas au texte original et qui me parle davantage.

Ce qui est sur, c’est que nous sommes totalement dépendant de ce pain pour vivre : vivre notre vie quotidienne d’un pain fait de céréales, mais aussi vivre notre vie en Christ de ce pain supra-substantiel, essentiel.

 

- pardonne nous nos offenses car nous pardonnons nous mêmes à ceux qui nous ont offensés : Trouver cette injonction non dans un commandement moral mais dans un modèle de prière nous dit l’importance de cet acte pour nous et pour autrui. Le pardon est un acte incontournable pour pouvoir avancer sans rester figé dans un passé douloureux, continuer notre marche d’aujourd'hui en envisageant celle de demain sans être retenu par un passé qui deviendrait une barrière infranchissable.

Daniel Bourguet écrit, je cite : « remettre une dette, c’est renoncer à son dû, mais c’est aussi renoncer à son droit (…) c’est renoncer à ce que justice soit faite (…) pardonner c’est préférer l’amour à la justice de la loi, c’est instaurer une autre justice, celle de l’amour. (…) celui qui prie le Notre Père est un pauvre, qui s’appauvrit volontairement par amour. C’est cela la kénose[8]. Tu peux y aller sans appréhension et sans crainte d’y être seul, car tu découvriras quelqu’un d’autre, marchant à tes côtés, le Christ qui est allé au bout de ce chemin. C’est le chemin du Golgotha, mais va joyeusement, car un beau matin, au-delà du Golgotha, tu verras venir, courant à ta rencontre, ton Père, les bras ouverts pour t’accueillir[9] ».(fin de citation)

 

Ne nous laisse pas entrer en tentation : Dans les évangiles ce n’est jamais Dieu qui est à l’origine de la tentation ou de l’épreuve (autre sens du mot grec), ce que confirme Jacques : « Dieu ne peut être tenté par le mal et ne tente lui-même personne [10]». Paul disait que le bien qu’il veut faire, il ne ne le fait pas et le mal qu’il ne veut pas faire, c’est ce qu’il fait[11]. Nous ne sommes en rien différents de lui. Chacune, chacun connait ses failles. Je ne m’y attarderai donc pas. Car nous avons l’assurance que lorsque l’une d’elle s’ouvre devant nous, il y a toujours un pont construit par l’Esprit pour la franchir. Gardons en nous tous les outils qu’il dispense, ou du moins autant que nous pouvons en disposer comme une affirmation : c’est ma demande Seigneur, mais avec ce que tu me donnes, je suis prête, je suis prêt.

 

Conclusion : Sur de sur ? Prête ? Prêt ? Écoutez cette histoire racontée par Antoine Nouis, je cite : « un sage avait reçu le don d’avoir les oreilles de Dieu. Chaque fois qu’une personne faisait une prière, il entendait ce que Dieu entendait.

Des hommes sont venus le voir et l’ont interrogé : nous disons beaucoup de prières, et nous avons le sentiment que Dieu ne répond jamais.

Le sage a répondu : Dieu entend votre prière. Mais il entend la prière de votre cœur, pas celle de votre bouche. Quand vous dites le Notre Père, voici ce que Dieu entend : « Notre Père qui es aux cieux, que mon nom soit sanctifié, que mon règne vienne, que ma volonté soit faite. Donne-moi aujourd'hui le pain dont j’ai besoin et ajoutes y un peu de confiture, une maison, une console de jeux, une grosse voiture et de longues vacances. Pardonne-moi mes offenses mais oublie-moi avec mes manques de pardon. Fiche moi la paix avec mes tentations et délivre moi de tout ce qui me dérange et me gêne. » Et lorsque vous avez achevé votre prière, vous dites : « Amen », en espérant que Dieu ne tardera pas à l’exaucer.[12] ».

Et toi, quand tu pries, que dit ton cœur ?

Amen.



[2] Daniel Bourguet Aapproches du notre Père p.33

[3] http://andregounelle.fr/dieu/dieu-pere.php

[4] Penser le « Notre père »(Exode 20:1-17 ; Matthieu 6:7-13 ; Luc 11:1-4), Culte du dimanche 18 mai 2014 à l'Oratoire du Louvre, prédication du professeur Olivier Abel

[5] Lévitique 11, 44

[6] Louis Pernot le Notre Père, abrégé de tout l’Évangile  p.51

[7] http://andregounelle.fr/bible/notre-pere-matthieu-6-luc-11.php

[8] https://www.cairn.info/revue-etudes-theologiques-et-religieuses-2010-3-page-323.htm

[9] Daniel Bourguet approches du notre Père p.65-66

[10] Jacques 1, 13

[11] Romains 7, 19

[12] Antoine Nouis L’aujourd'hui de l’Évangile   p. 539