20/12/2020 prédication d'André Bonnery

Prédication du 20 décembre 2020

Par André BONNERY

Lectures : 2 Sam 7, 1-16 ; Rm 16, 25-27 ; Luc 1, 26-38

Chants : 318 ; 174 ; 301 (316)

Spontanés : formule 1

 

PREDICATION

Jean fait allusion à la Nativité en une seule phrase : « Et le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous »(Jn 1, 14), Luc par contre a éprouvé le besoin de nous en dire plus sur la naissance du Sauveur. Héritier d’une double culture, grecque et juive, il lui a paru indispensable d’inscrire la vie de l’homme Jésus dans un cadre historique, allant de la naissance jusqu’à son départ définitif avec l’Ascension.

 Selon les exégètes Luc s’est inspiré des biographies  des grands personnages de l’Antiquité pour écrire la vie et l’action de Jésus. Puisque Dieu se dévoile en son Fils fait homme, sa vie devait  être décrite avec tous les paramètres sociaux, politiques et religieux inhérents à l’incarnation. C’est pourquoi,  chez Luc abondent, dès les récits de l’enfance, les repères chronologiques qui l’ancrent dans l’histoire de l’Empire romain. Plus tard, il décrira la société de son temps avec ses riches, ses pauvres, ses malades, ses détresses, ses dévots. Si Luc se préoccupe de l’histoire, ce n’est pas tellement  l’histoire profane qui l’intéresse, mais celle dans laquelle Dieu intervient. Pour lui les événements sont inscrits dans un déroulement prévu par le plan divin du salut. C’est en ayant bien cela à l’esprit  qu’il faut lire l’Annonce faite à Marie.

 

On ne peut pas considérer ce récit comme une narration exacte de faits, gestes et paroles, selon les critères qui sont le nôtres aujourd’hui. Il a essentiellement pour but de nous  dire qu’un jour, dans une province perdue du vaste Empire romain, au temps de l’empereur Auguste, Dieu est intervenu pour conclure une alliance inouïe  avec l’humanité. Un enfant va naître d’une jeune-fille  toute simple, et cet enfant « sera appelé Fils de Dieu ». Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père » ; « son règne n’aura pas de fin ».Il y a de quoi attraper le tournis quand on reçoit une révélation pareille.

Marie a-t-elle réellement entendu cette accumulation de titres ?

Ce qui me parait certain, c’est que l’évangéliste veut tout simplement avertir ses lecteurs que la promesse faite à Israël d’un Messie Sauveur,  est enfin réalisée. Celui que les prophètes avaient annoncé depuis des siècles en s’efforçant de définir les contours de sa mission,  celui qui était attendu comme un libérateur, allait naître d’une femme.

Gardons au texte de Luc sa pudeur et ne lui faisons pas dire plus que ce qu’il dit. N’essayons donc pas de l’interpréter selon nos désirs ou nos fantasmes. Nos grands réformateurs, Luther et Calvin, fidèles à la lettre du texte de Luc, parlent de la virginité de Marie, pourtant ce n’est pas sur sa virginité qu’ils veulent fixer l’attention, mais sur le fait que l’irruption de Dieu dans l’humanité a transformé notre histoire et notre destinée à jamais. La plupart des exégètes protestants et un certain nombre de catholiques  aujourd’hui, estiment qu’il n’est pas indispensable de convoquer la conception virginale pour croire à la filiation divine de Jésus. En tous cas, chez Luc, dont certains pensent qu’il était médecin, ni la biologie ni l’obstétrique ne sont convoquées. Par conséquent, tenons-nous en à la quintessence de ce qu’il nous dit et que l’on peut résumer en deux points :

 

1 -« Celui qui naîtra de toi sera appelé Fils de Dieu » (1, 35). Jésus né de Marie est le Fils de Dieu. Il est le Messie attendu par tout Israël. Il est le Sauveur, telle est la signification du nom de Jésus donné par l’ange à l’enfant à naître.

2–Comment le Fils de Dieu peut-il être présent dans un fils d’homme ? Réponse : par sa « puissance » (v. 35), car « rien n’est impossible à Dieu » (v. 37).

Voilà l’essentiel du message lucanien.

Dans le récit de l’Annonciation il y a trois protagonistes, si j’ose ainsi m’exprimer : Dieu qui s’exprime par un messager ;  Marie ;  enfin nous, les hommes à qui le Père envoie son Verbe pour qu’il prenne notre humanité. Examinons les choses de ces trois points de vue.

 

Dieu

Le Dieu que Luc nous présente est déroutant, bien loin de ce que l’on attendait. Bien sûr, il tient les promesses faites à Israël, à Abraham et aux prophètes. Bien sûr, il avait promis un Messie, un sauveur, de la descendance de David, qui restaurerait Israël, mais lorsqu’il annonce que les temps sont venus, que constate-t-on ? Il s’adresse à une jeune-fille que personne ne connait, dans une obscure bourgade de Galilée dont on ne parle jamais dans l’Ancien-Testament,  bourgade à la réputation douteuse : « Que peut-il sortir de bon de Nazareth ? » L’annonce à Zacharie de la naissance de Jean-Baptiste,mise par Luc en exact parallèle avec celle faite à Marie, avait au moins de l’allure : elle s’adressait à un prêtre de service, dans le cadre prestigieux du Temple de Jérusalem, gloire de la nation juive.

Dieu est surprenant parce qu’il choisit de rejoindre l’homme et de proposer une alliance dans un enfant pauvre, d’une famille obscure dont le père, dit-on, était de la famille de David, mais qu’est-ce que cela voulait dire ? Les habitants de Nazareth n’avaient au temps de Jésus, nulle conscience de cette ascendance royale. Lorsque, quelque trente années plus tard,Jésus prend la parole dans leur synagogue, ses auditeurs« s’étonnent du message de la grâce qui sortait sa bouche et ils disaient : n’est-ce pas là le fils de Joseph ? » (Luc 4, 22). Dieu était si surprenant pour les juifs du temps de Jésus, qu’ils ont eu beaucoup de mal à accepter que le Messie attendu ait pris le visage de ce Nazaréen d’humble extraction.

D’une manière symbolique Luc  nous dira dans quel état d’esprit il faut être pour reconnaître l’envoyé de Dieu en un enfant que rien ne désignait à priori pour cette mission. Pour le reconnaître il faut avoir la simplicité des bergers ou bien l’obstination des mages dans la recherche de la vérité. Alors et alors seulement Dieu peut se révéler.

 

Marie est l’autre protagoniste.

On ne sait rien d’elle, sinon que c’est une toute jeune fille promise à un artisan de village aussi obscur qu’elle. Comment a-t-elle compris son élection par Dieu pour être la mère de son Fils ? L’évangile de Luc parle d’un ange du nom de Gabriel, celui-là même qui a annoncé à Zacharie que sa femme Elisabeth serait mère malgré son âge avancé. On sait que, dans tout l’AT les anges sont les envoyés de Dieu, c’est ce que signifie le terme grec angeloi, les messagers. Dieu, le tout autre, ne peut s’adresser aux hommes autrement que par des messagers. Ainsi a-t-il fait lorsqu’Abraham reçut la promesse que Sarah lui donnerait un fils, malgré son grand âge. Tout naturellement, Luc pétri des exemples de l’A.T. met un ange en scène pour l’annonce à Marie

Comment les choses se sont-elles passées exactement ? Impossible à dire. On notera cependant que chez  Matthieu il n’est pas question d’une annonce faite à Marie, mais à Joseph. C’est à lui que Dieu s’adresse,en songe, toujours par l’intermédiaire d’un ange, pour lui révéler le caractère exceptionnel de l’enfant qui naîtra de son épouse. Marc et Jean ne parlent pas de la Nativité, qui n’a donc aucune place dans leur évangile, pas plus que Paul dans ses Epîtres ; prenons donc le texte de Luc tel qu’il est, écrit dans un contexte religieux et social très différent du nôtre, en ayant bien à l’esprit qu’on ne peut le lire comme  un récit historique au sens moderne du mot.

Quatre vingt ans après la Nativité, c'est-à-dire trois générations, Luc opère une réflexion sur ce qu’à été la vie et la mission de Jésus, à la lumière de la Résurrection. Il fait alors une lecture théologique de l’irruption de Dieu dans le monde à Noël. Le premier acteur de cette irruption est Marie et, par voie de conséquence son époux, Joseph. Luc sait la lente et sans doute parfois la douloureuse évolution qu’a dû accomplir Marie pour comprendre la destinée, « la mission » si particulière de son fils. Souvenez-vous, l’épisode de Jésus adolescent au Temple : « Mon enfant, nous te cherchions tout angoissés… Ne saviez-vous pas qu’il me faut être chez mon Père ?... Mais eux ne comprirent pas ce qu’il disait » (Luc 2, 48-49). Avec le récit de l’Annonciation c’est un retour sur un passé, enfin éclairé par Pâques. Luc comprend la grandeur du choix de Marie et ce qui s’est accompli à partir d’elle. Indépendamment de la forme du récit, ce qu’en dit Luc a une portée exceptionnelle pour nous. Que nous dit-il ?

1 – Marie a été choisie par Dieu, non pas pour ce qu’elle était dans l’ordre des valeurs humaines, mais par grâce pure. Voyez la salutation de l’ange. « Kairé, kekaritoménè » Mot à mot : « réjouis-toi, ayant reçu la grâce ». Luther, dans son admirable commentaire du Magnificat fait remarquer que Dieu est d’autant plus grand que Marie est humble et fragile, et qu’elle reconnait qu’elle a tout reçu de lui. C’est bien le sens de ce verset qui est mis en sa bouche : « Mon âme exalte le Seigneur…. Parce qu’il a porté son regard sur son humble servante » (Luc, 1, 46-48)

2 – La grandeur de Marie résulte de son humilité. Si Dieu l’a choisie pour être la mère de son fils, c’est précisément à cause de cette humilité. Le thème est décliné avec force exemple tout au long du Magnificat : « il a jeté à bas les puissants de leur trône, il a élevé les humbles ; les affamés il les a comblés de bien, les riches il les renvoie les mains vides ... » (Luc 1, 46-56)

3 – Marie est grande et exemplaire parce qu’elle a fait confiance. Il est remarquable de noter que Dieu ne lui a pas imposé d’être la mère du Verbe mais il a requis son acceptation et il l’a laissée libre. Marie a fait confiance et elle a accepté ce qui lui était demandé. A-t-elle eu conscience des conséquences de son acceptation ? La réponse est à rechercher dans sa présence au Calvaire et au milieu des apôtres, après l’Ascension (Actes 1, 14)

 

Nous.

Le troisième protagoniste dans cette histoire, c’est nous.

Nous, les hommes livrés à la mort, au mal et au pêché dans un monde créé beau mais qui s’est déréglé.

Nous que Dieu aime tellement qu’il a voulu que son Fils prit notre chair pour nous indiquer le chemin de la délivrance et du salut.

Nous qui avons pour modèle Marie, choisie par Dieu dans son humilié pour qu’éclate plus fort la puissance de sa grâce.

Nous qui, comme Marie, sommes invités à faire confiance en ce Dieu qui nous aime, et à nous laisser transformer par lui.

Amen.