20/11/2022 prédication Jean Pierre Pairou

Culte du 20 novembre 2022                                   

Luc 23  35 à 43

Texte auquel je suis attaché puisqu'il fut le premier que j'ai commenté lors de mon premier culte en prison en qualité d'aumônier. Avec la difficulté créée par le terme de     " malfaiteurs".

C’est par ailleurs un texte de fête pour nos frères catholiques, traditionnellement choisi pour la fête du " Christ roi ". Notion difficile peut-être à concevoir et à accepter dans un pays à tradition régicide et républicaine. La notion de roi n'est-elle pas plutôt dévalorisée pour nous ? Quel sens lui donner alors ?

Le choix de ce texte peut paraitre tout à fait paradoxal dans la mesure où le-dit roi est martyrisé comme un malfaiteur. Ce paradoxe est sans doute pour nous une piste à explorer. Une autre imagerie du Chris-roi, pantocrator est apparue plus tardivement en particulier dans la tradition byzantine et qui a, d'une certaine manière dévié le sens profond du message évangélique. Message profond que ce texte nous invite à retrouver.

Cet épisode se trouve dans l'avant dernier chapitre de Luc. Jésus, condamné est mené au supplice. Notre séquence se trouve juste entre le début de la crucifixion et la mort de Jésus. Ce supplice aurait pu durer des heures, voire des jours, mais le bris des jambes a accéléré la mort. Ce supplice est répandu et non spécifique à Jésus (révolte de Spartacus = milliers de crucifiés sur la voie appienne ). Ce supplice est celui des malfaiteurs, et il est fait mention de la présence de deux avec Jésus. Cette mention me semble essentielle dans le message évangélique : Dieu est avec les malfaiteurs !!.

Le texte est divisé en deux parties qui se font écho l'une à l'autre :

1°) moqueries mise en avant de la dérision de ce roi

2°) dialogue avec les malfaiteurs qui est, me semble-t-il comme une réponse à la notion de royauté

1°) Plusieurs noms sont repris pour être tournés en dérision (le messie, l'élu, le roi, roi des juifs) Notons que parfois ces noms se confondent. Messie (ou Christ) n'est pas un nom spécifique à Jésus c'est l'oint de dieu, celui qui est choisi par Dieu pour faire sa volonté. Elu, de même est choisi par Dieu. Dans l'ancien testament, (Samuel) élection du roi Saül, puis David. Se pose la question de la notion de royauté. Roi des juifs est d'abord un rêve politique à l'époque de Jésus, de retour à la royauté davidienne conçue comme un temps béni et surtout d'indépendance à l'égard de Rome. Le roi est conçu comme le remplaçant de Dieu sur terre." Pour qu'il nous juge donne nous un roi "1 Samuel 8. Schématiquement : temps béni du roi-volonté de restauration- volonté politique.

La situation est paradoxale d'où les moqueries. Celui qui était conçu par le peuple comme le nouveau roi se retrouve sur une croix en situation de malfaiteur. Ce paradoxe est celui de notre foi ! Nous l'oublions souvent au profit d'une imagerie d'un Dieu pantocrator, qui devient une idole. Ici, celui qui est roi, c'est le supplicié, maltraité, bafoué, mis au rang le plus bas et qui meurt dans d'atroces souffrances, abandonné de Dieu.

La croix est le lieu où la notion humaine (trop humaine) de Dieu s'arrête. C'est comme une négation de la notion que l'humain se fait de Dieu.

"Ici Dieu est non-Dieu. Ici triomphent la mort, l'état injuste, le blasphémateur, les soldats, ici triomphe Satan sur Dieu. NOTRE FOI commence exactement là où les athées pensent qu'elle doit finir. Notre foi commence dans cette rigueur et cette puissance qu'est la nuit de la croix, de l'abandon, de la tentation et du doute s'étendant sur tout ce qui existe. Notre foi doit naitre du néant " Jürgen Moltmann " Le Dieu crucifié "

Paradoxe de la croix : est la négation du politique, du pouvoir. Le roi est sans aucun pouvoir. Ceci met en évidence une notion de justice à deux niveaux, celle qui est rendue envers les malfaiteurs " nous recevons ce qu'ont mérité nos actes" : la justice humaine est de l'ordre de la rétribution. La justice rendue par Jésus l'est sur une simple parole : " souviens-toi de moi ". Il ne s'agit pas de la part du malfaiteur d'être délivré de sa punition humaine, mais de reconnaitre que Jésus est dans une autre dimension, celle de l'ordre du royaume, du règne de l'amour. La justice humaine reste ce qu'elle est et n'a pas de relation avec la "grâce" divine.

Mais c'est aussi la négation de la religion : Dieu n'est pas l'image d'une toute puissance tonitruante, il n'est pas le pantocrator. C'est aussi une négation de l'humanité même car l'homme tue le " fils de l'homme " c'est à dire l'humanité parfaite telle qu'elle devrait être.

C'est un moment qui nous laisse dans le néant d'une foi qui doit se construire à partir de ces paradoxes. Mais c'est le message même de l'Evangile !

2°) Malfaiteurs. En Jésus, Dieu est du côté des malfaiteurs, il est avec eux bien que n'ayant rien fait de mal .Notre Dieu n'est pas là où on l'attend et où on le cherche, dans nos églises, nos temples, nos puissances ecclésiastiques. Il est avec les malfaiteurs et cela jusqu'au bout. Il s'agit là, encore une fois d'une négation de l'évidence sociale, négation des " bien-pensants ", des pharisiens de l'époque ! Deux réactions humaines sont mises en évidence, réactions qui sont aussi les nôtres ! " Que fait Dieu dans tout cela ? " " Sauve nous aussi. « compréhension humaine qui peut être source d'un athéisme.  A l'opposé une position de la foi, modeste mais réelle se fait jour. Une foi qui ne tempête pas, qui accepte de ne pas comprendre, (de ne pas savoir. P. Ricoeur), se sachant pêcheresse. La foi remet en scène la notion de roi, contre toute évidence : "Souviens-toi de moi quand tu viendras comme roi ". C'est la foi absolue qui se manifeste ici : croire malgré les raisons de ne pas croire. Ou plus exactement mettre sa confiance en une parole en acceptant de ne pas savoir.

Réponse de Jésus " Tu seras avec moi dans le paradis ". Unique moment où ce mot " paradis " est prononcé dans l’Evangile (sinon 1 Co, apo ). Surprise quand on sait ce que la théologie       ( médiévale en particulier ) en a fait ! Ce qui me semble essentiel, ce n'est pas le mot paradis, mais l'affirmation " avec moi ". Tu es avec moi sur la croix, je suis avec toi  ( l'Emmanuel ).

Là est le paradoxe essentiel de la foi chrétienne. Idée d'un Dieu qui souffre avec les humains. Un Dieu que l'on ne rencontre que dans l'abandon. Il est là comme l'est un absent. A la mort de Jésus, le voile du sanctuaire du temple se déchire en deux. Il nie la séparation entre Dieu et l'homme mais en même temps dévoile le vide de l'absence.

La foi commence là où elle devrait s'arrêter. Un être qui semble nous manquer est plus présent dans notre vie que celui que nous côtoyons chaque jour.

" En vérité, je te le dis, aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis " dans l'attente

Notre foi est dans l'attente du règne de Dieu malgré les souffrances dans lesquelles le Seigneur nous accompagne.

Jean-Pierre Pairou