15/03/2020 Prédication de Alain Arnoux

Communion dans l'invisible


Me voici, en ce dimanche matin, devant mon ordi. Je devais aller prêcher quelque
part en Ardèche. Hier soir, tard, alors que je mettais la dernière main à la préparation
du culte, l'ordre est tombé de la part de notre conseil national : "Tous les cultes sont
suspendus dès demain et jusqu'à nouvel ordre". Toutes les rencontres d'Eglise sont
annulées ou reportées. Même les services funèbres devront être célébrés dans
l'intimité, les bénédictions de couple et les baptêmes reportés. Tout ce qui fait la vie
ordinaire de notre société est suspendu ou limité.

Aucun de nous n'a jamais vécu cela, sauf peut-être ceux qui ont connu des temps de
guerre, ou des épidémies sur d'autres continents. Tout est inédit, sauf peut-être les
vieux réflexes égoïstes de panique ou d'inconscience, qui remontent du fond des âges.
Tout est inédit, comme le virus.

Et notre société se découvre fragile, comme chacun de nous. On entend dire que cela
va remettre en cause bien des manières de vivre, bien des stratégies économiques et
politiques, qu'il y aura "un avant et un après coronavirus". Permettez-moi d'en douter.
Un temps bizarre nous est imposé, nous ne savons jusqu'à quand. Il va falloir nous
adapter. Un temps bizarre nous est imposé.

Et si ce temps nous était - aussi – donné ? Donné pour nous faire réfléchir à notre
manière de vivre, de travailler, de rencontrer les autres, de réfléchir, de prier... dans
les temps ordinaires. Ce temps imposé, ou ce temps donné, que nous n'avons pas,
d'habitude, ou que nous remplissons le plus possible, pour ne pas nous retrouver face
au vide... ou à l'essentiel.

Je pense à la prière de Michel Quoist :
"Seigneur, j'ai le temps.
J'ai tout mon temps à moi,
tout le temps que tu me donnes,
les années de ma vie, les journées de mes années, les heures de mes journées.
Elles sont toutes à moi.
À moi de les remplir, tranquillement, calmement,
mais de les remplir tout entières, jusqu'au bord, pour te les offrir,
et que de leur eau fade tu fasses un vin généreux,
comme jadis à Cana, tu fis pour des noces humaines.
Je ne te demande pas, Seigneur, le temps de faire ceci et puis encore cela.
Je te demande la grâce de faire consciencieusement,
dans le temps que tu me donnes, ce que tu veux que je fasse."

Et si cette sorte de sabbat imposé devenait une sorte de sabbat donné, pour que nous
prenions conscience de la valeur des jours ordinaires, et de la valeur des sabbats, des
dimanches ordinaires, que nous nous évertuons à remplir, et pas seulement de culte.

Nous voici donc sans assemblée dominicale, sans rencontre communautaire, jusqu'à
nouvel ordre. Cela ne rompt pas la communion dans l'invisible. Peut-être pouvonsnous,
dans chaque communauté, nous donner rendez-vous dans l'invisible, pour lire et
méditer les Écritures en même temps avec les aides qui nous sont données, pour louer
Dieu en même temps, prier en même temps les uns pour les autres et pour le monde...
Et peut-être que cela pourrait devenir une habitude quand, pour une raison ou une
autre, nous ne pouvons pas rejoindre l'assemblée. Peut-être que cela nous apprendrait
à avoir une discipline de recueillement personnel plus forte, sans laquelle de toute
façon nos vies communautaires sont languissantes. Oui, ce temps nous est peut-être
donné pour renforcer dans l'invisible notre communion spirituelle, notre communion
avec Dieu, notre communion fraternelle...

Nous voici donc sans assemblée dominicale. Je suis prêt à parier que cela va frapper
les esprits de ceux qui ne se soucient pas habituellement de voir les lieux de culte
ouverts le dimanche. Et sans doute l'impossibilité d'y célébrer des obsèques va-t-elle
encore plus inquiéter, ou même scandaliser. Quand les Églises "fonctionnent"
normalement, cela rassure, même si on ne s'y intéresse pas. Nos célébrations
dominicales rassurent même ceux qui les ignorent. Elles sont encore le signe d'une
Présence au milieu du monde (mais en sommes-nous conscients?) Leur absence
serait-elle signe d'une Absence ? Ou pourraient-elles faire prendre conscience à notre
société d'un silence auquel elle veut condamner Dieu, silence de Dieu qui est une de
ses pires menaces dans la Bible ? Ou encore :

Dieu nous parle-t-il plus fort en ce moment, en venant perturber notre tranquillité et
celle de tous les hommes par cette pandémie ?
Dieu veut-il rappeler aux hommes qui croyaient avoir tout prévu et tout maîtrisé,
qu'ils ne sont en fait maîtres de rien, même pas de leurs inventions ?
Dieu se sert-il des malheurs et des peurs pour venir casser les protections que nous
mettons contre lui autour de nos vies et de nos secrets, comme Jésus le fait avec la
Samaritaine ? Dieu se sert-il de cette pandémie pour contester les stratégies
financières et politiques de ceux qui mènent ce monde, et pour leur rappeler sa loi ?
Oui, Dieu parle-t-il plus fort en ce moment, puisqu'on ne l'écoute pas dans les temps
tranquilles ? Peut-être.
Je ne l'exclus pas, mais n'oserais pas le dire de manière trop assurée. Et bien
audacieux qui le dira : personne n'est dans les secrets de Dieu, et je me méfie des
propagandes de bas étage que les gens religieux sont capables de faire en se servant
des malheurs des hommes, des épidémies, des tsunamis et des catastrophes de toute
sorte.
De toute façon, dès que cela va mieux, les hommes oublient et se dépêchent de
retrouver leurs habitudes. Et dans les temps de malheur, les hommes savent encore
très bien essayer de se mettre à l'abri de la parole de Dieu en se jetant dans le
religieux, dans les temples et les rites, comme la Samaritaine quand elle essaie
d'orienter Jésus sur la rivalité entre les temples de Jérusalem et du Mont Garizim.
Dieu parle-t-il plus fort en ce moment ? Je crois que l'important est de savoir que
Dieu nous parle fort et qu'il parle fort à ce monde même dans les temps normaux et
tranquilles. Et que l'homme essaie de se mettre à l'abri de sa parole, par la religion
comme par l'indifférence. Entre Dieu et l'homme, celui qui n'écoute pas, c'est
l'homme ; celui qui se cache, c'est l'homme ; celui qui n'exauce pas l'autre, c'est
l'homme.

Dieu parle-t-il plus fort en ce moment ? À nous oui, en tout cas. Pour nous dire que
ce que nous confessons, proclamons et chantons en vase clos, dans les temps
tranquilles, est vrai et reste vrai même dans les temps d'incertitudes et de peur ; que
c'est vrai et que cela reste vrai pour nous, mais aussi pour tous, et qu'il faut le leur
dire.

Dieu parle-t-il plus fort en ce moment ? Peut-être à nous, pour nous rendre attentifs à
ne pas faire de nos temples des bulles stériles à l'abri du monde, et de nos cultes des
parenthèses dans la vraie vie ; pour nous appeler aussi à ne pas jouer à cache-cache
avec Dieu dans les temps normaux ; enfin pour nous demander de faire entendre au
monde qui nous entoure la forte parole que Dieu lui adresse en tous temps, dans les
temps tranquilles comme dans les temps d'angoisse. (Ces deux derniers paragraphes
sont les deux derniers de la prédication que je devais donner ce matin, sur l'évangile
du jour : Jean 4 / 1 à 52).


Très fraternellement à vous, Alain ARNOUX, pasteur en retrait,
Dimanche 15 mars 2020