21/06/2020 prédication André Bonnery

André BONNERY

Prédication du dimanche 21 juin 2020, à Carcassonne

Textes : Mt. 10, 24-33 ; Jér. 20, 10-13 Chants : 507 ; 637 ; 408 ; F2

 

I-Une péricope à replacer dans son contexte

Pour bien comprendre ce passage difficile du chapitre 10 de l’Evangile de Matthieu, il convient de le replacer dans son contexte.

Jésus vient de choisir  douze disciples  qu’il envoie en mission, deux par deux, pour prolonger son activité auprès des foules nombreuses qui attendent de lui un message d’espérance : « voyant les foules, il fut pris de pitié pour elles, parce qu’elles étaient harassées et prostrées comme des brebis sans berger » (Mt 9, 36). A ces disciples auquel l’Evangile donne le nom d’apôtres (apôtre vient du grec apostolos qui signifie « envoyé »), il donne mission et autorité pour qu’ils guérissent, comme lui, malades et infirmes, et chassent les démons en son nom (Mt 10, 1). Mais il les prévient, dans la péricope que nous venons de lire : « Le disciple n’est pas au dessus de son maître » (v.24) « Ils ont traité de Béelzéboul le maître de la maison, à plus forte raison le diront-ils du serviteur » (Mt 10, 25). Jésus fait allusion ici à ses détracteurs qui n’ont pas été impressionnés par les miracles qu’il a accomplis et qui les ont attribués à l’action du démon Béelzéboul. Une manière de les mettre en garde : ce n’est pas parce que vous pourrez opérer des prodiges en mon nom que vous serez considérés. Le message que je vous confie vous attirera des ennuis comme il m’en a attiré. Jésus savait de quoi il parlait, lui qui avait sans doute la prescience de ce qui lui arriverait à cause de la mission que le Père lui avait confiée.

L’Evangile de Matthieu a été écrit dans les années 80-90, pour des judéo-chrétiens persécutés qui avaient été rejetés de la synagogue,  des gens en situation instable par conséquent, naviguant entre l’indifférence des païens et l’hostilité franche des Juifs. En écrivant ces avertissements de Jésus, Matthieu pensait évidemment aux chrétiens de la communauté à laquelle il s’adressait : il n’est pas facile d’être disciple du Christ !

 

II- Pas facile d’être chrétien, hier comme aujourd’hui.

La liturgie de ce jour a mis en parallèle la lecture de ce passage de Matthieu et un autre tiré du livre de Jérémie. Le prophète a été jeté en prison en raison du message qu’il a adressé de la part de Dieu à son peuple. Les ennuis que lui attire la fidélité à sa mission sont tels qu’il  en vient à maudire le jour de sa naissance. Cependant, en dépit de tout cela, et malgré toutes les attaques dont il est le sujet, il garde sa confiance dans ce Dieu qui l’a choisi pour être son porte parole : « C’est à toi que j’ai confié ma cause. Chantez l’Eternel, louez l’Eternel car il délivre la vie du pauvre de ceux qui font le mal » (Jer. 20, 12-13).

 

Jérémie était la figure du Christ ; comme lui, il parlait au nom de Dieu, son Père. Comme lui, il était persécuté en raison de la fidélité à sa mission ; persécuté jusqu’à en mourir ! Dès lors, on comprend l’avertissement : « Le disciple n’est pas plus grand que son maître ». Celui qui met sa foi en lui n’est pas à l’abri d’ennuis. Voilà une perspective qui n’est pas très réjouissante mais qui ne nous inquiète pas trop, nous français, chrétiens d’Europe, une région du monde où cela fait bien longtemps que l’on n’est pas en butte à de graves persécutions. Notre société a été si largement modelée par le christianisme  que, peu ou prou, nous sommes installés dans une certaine sécurité. Mais c’est le moment de se rappeler qu’être chrétien exige aujourd’hui encore, dans beaucoup de contrées, courage et héroïsme. Dans les pays  où domine un islam intégriste, on peut être jeté en prison, discriminé ou même massacré tout simplement parce qu’on est chrétien. Je n’ai pas besoin de vous rappeler des faits récents que vous avez sans doute en mémoire. Ceci est vrai également pour les pays soumis à une dictature qui n’a que faire des libertés individuelles et qui impose son idéologie à tous. Car la liberté de conscience durement acquise dans notre société occidentale, n’est pas acceptée partout. N’oublions pas que l’on peut, aujourd’hui encore, être persécuté ou tué si l’on s’oppose à un régime, au nom de sa conscience, et même si l’on se convertit au christianisme. Il est indispensable de se rappeler ces évidences lorsqu’on lit cet Evangile de Matthieu.

Mais il est des « persécutions » plus insidieuses que l’on subit aujourd’hui, chez nous, des remarques devant lesquelles on n’ose pas réagir, des allusions déplaisantes du genre : « tu es chrétien, toi, comment est-ce encore possible ? Ma fille me racontait une anecdote à peine croyable. Dans l’Institut où elle était en formation, naguère, des collègues parlaient d’une tierce personne qui se nommait Chrétien, « Monsieur Chrétien » (comme Jean-Lou Chrétien).

Je rapporte la conversation : « Tu te rends compte : s’appeler Chrétien, je me demande comment il n’a pas honte ! »

« Oh oui, tu as raison. Chrétien », la honte ! Si c’était mon cas, je ne saurais pas où me mettre. »

Authentique, je n’invente rien.

Ces braves filles n’avaient  sans doute pas encore réalisé que leur père, leur tante ou leur collègue s’appelait peut-être Christian, Christiane ou Christophe. Christophe : « qui porte le Christ ». Vous vous rendez compte : la honte !

Cet ostracisme est rare, me direz vous ; que nenni ! J’ai entendu récemment un homme politique français bien connu déclarer publiquement tout de go : « Je préfèrerais être un noir athée qu’un  blanc catholique (catholique=chrétien).» Sans commentaire.

Il faut sans doute faire la part des contre-témoignages trop nombreux hélas dans l’histoire, attribuables à des chrétiens ou aux Eglises. Ils peuvent sans doute expliquer une forme d’allergie au christianisme. Mais, il y a plus : il y a certainement quelque chose de dérangeant dans ce message qui se veut une Bonne-Nouvelle. Si le christianisme n’était qu’une  religion parmi tant d’autres, susciterait-elle autant de réactions depuis deux millénaires ? Les Romains, par exemple acceptaient toutes les religions et toutes les philosophies de leur vaste Empire, c’est le christianisme et lui seul qu’ils ont persécuté avec constance pendant plus de deux siècles. Pourquoi ? Parce que le message du Christ  touche à ce qu’il y a de plus fondamental dans la relation de l’homme avec Dieu. Les idéaux de respect de l’individu, de la haute valeur de chaque être humain, quelle que soit sa position sociale : « ne valez-vous pas mieux que tous les moineaux ? (v.30) induisent une relation au Dieu Père de tous, qui est bien supérieure à toutes les autres. Quand un chrétien confesse : « Jésus-Christ est Seigneur », cela veut dire que le Christ est la référence ultime, le seul à qui, en dernière instance nous avons à rendre compte. Comment, dès lors cette foi n’entrerait-il pas en conflit avec toutes les idéologies totalitaires qui, par définitions se placent au-dessus de tout et exigent une obéissance aveugle à leur ordre établi ?

 

Certes, comme je vous le disais, nous sommes, actuellement du moins, à l’abri des dictatures brutales et sanglantes, mais pas des dictatures insidieuses, des pressions qui s’exercent sur notre jugement et notre comportement, sans que nous en ayons clairement conscience. Alors, posons-nous la question : « A quels seigneurs sommes-nous soumis ? » Je me permets de citer, en seconde main, un article de René Arnoux dans l’hebdomadaire Réforme : « De quoi avons-nous peur en réalité ; que l’on se rie de nous ; que l’on sourie de nous d’un air apitoyé (parce que nous nous disons chrétiens), qu’on nous classe parmi les niais, les arriérés, les simplets ? D’être catalogués parmi les infréquentables, les rabat-joie, les coincés ? De perdre des amis, d’être isolés, marginalisés ? Ou bien avons-nous peur d’être assimilés à ceux que leur foi rend méchants, qui détestent la vie, qui font la guerre aux autres ? » ( …  ceux, auxquels je faisais allusion, qui sont des contre-témoins d’un christianisme ouvert et fraternel.)

 

III- « Ne craignez pas », vous comptez aux yeux de Dieu.

C’est alors qu’il est bon d’entendre cette triple recommandation de Jésus commençant par « ne craignez pas »:

1-«Ne les craignez donc pas. Rien n’est voilé qui ne sera dévoilé ; ce que vous entendez dans le creux de l’oreille, dites-le sur les terrasses. » (v. 26-27) Parler sur la terrasse d’une maison de Galilée, c’était parler pour être entendu par toute la rue, voire le quartier. Cela signifie : allez-y, témoignez de ce que vous avez reçu de moi ; de toutes manières ma parole ne pourra être étouffée, la Bonne-Nouvelle sera entendue. A preuve : malgré la persécution, malgré les trahisons des chrétiens eux-mêmes, l’Evangile est proclamé, deux millénaires après avoir été écrit.

2-« Ne craignez pas ceux qui peuvent tuer le corps mais ne peuvent tuer l’âme ». (v.28) Jésus rappelle que la personne humaine ce n’est pas seulement un corps mortel mais aussi une âme immortelle. L’humain est un tout qu’on ne saurait détruire définitivement, en  hottant la vie matérielle.

3-« Soyez sans crainte, vous valez mieux que les moineaux… même vos cheveux sont comptés » (v. 31-32) C'est-à-dire : vous êtes infiniment précieux pour votre Père

Malgré tout ce qui peut nous arriver, en dépit des moqueries, des persécutions, des difficultés à proclamer le Bonne-Nouvelle qui nous a été confiée, ne craignons pas, nous exhorte le Christ. Pourquoi, parce que le Père nous aime et que nous sommes précieux à ses yeux. En tenant ferme dans notre foi en Christ, nous ne risquons rien. Le pire serait de le renier, c'est-à-dire, en définitive, de nous renier, car notre avenir c’est d’être des fils de Dieu et de nous conformer à ce que nous sommes. Voilà ce que signifie cette parole qui parait terrible : « Quiconque se déclarera pour moi devant les hommes, je me déclarerai aussi pour lui devant le Père, mais quiconque me reniera devant les hommes, je le renierai moi aussi devant mon Père.» (v. 32-33) Il ne s’agit pas d’une mise en garde en forme de menace, mais bien du rappel d’une réalité existentielle : notre être, corps et âme est entre les mains de Dieu de qui nous tenons tout. Notre salut vient du Christ par qui nous sommes rendus justes au regard de Dieu. Oublier cela, c’est nous renier nous-mêmes et donc, par notre faute et non pas en vert d’un châtiment divin, aller à notre perte.

 

Alors, restons confiants, ne craignons pas et nous pourrons, à l’invitation du Christ, « proclamer sur les terrasses » sa Bonne-Nouvelle. C’est une métaphore évidemment, je ne me vois pas trop grimper sur le toit pour dire que Christ est notre présent et notre avenir. Mais si, par ma manière d’être, je sais dire d’où vient ma joie de vivre et mon assurance, si je suis fier d’appartenir au Christ, ce n’est déjà pas si mal. Et puis, la parole de Jésus est en soi un ferment qui travaille le monde : « rien n’est voilé qui ne sera dévoilé, rien n’est secret qui ne sera connu ». Partout où elle est reçue, grâce à l’action de l’Esprit, dont nous avons célébré la venue à Pentecôte, elle sème la vie. Soyons sans crainte, et laissons nous conduire par ce même Esprit. Amen.