Luther et Cranach- Weimar

 

 

 

Luther et Cranach au pied de la croix.

En ce temps de Carême qui précède Pâques, cette peinture nous permet d’approfondir la signification de la Passion en même temps qu’elle invite à nous pencher sur l’un des aspects méconnus de la personnalité de Luther : son intérêt pour l’image en tant que véhicule des idées de la Réforme.

 

Entre Cranach et Luther, une amitié et une complicité profondes.

Lucas Cranach l’Ancien (1472-1553) est considéré comme l’un des plus grands peintres de la Renaissance allemande qu’il a fortement marquée de son empreinte. On connait son goût pour les portraits, notamment ceux de Luther et de sa femme Catherine, dans lesquels il excelle à faire apparaitre le caractère de ses personnages, ainsi que sa prédilection pour les nus féminins aux silhouettes graciles et vaporeuses, aux têtes fines. Elégance et précision du trait, prédilection pour les couleurs vives, délicatesse des carnations, scènes se déroulant volontiers sur des paysages danubiens, telles sont les caractéristiques de sa peinture. On connait moins Cranach pour son œuvre protestante. Car, très tôt il se lie d’amitié avec Luther et il adhère immédiatement aux idées de la Réforme. Il met alors son art au service des idées nouvelles. Sous l’influence de son ami, le réformateur comprend très vite l’intérêt de l’image dans la diffusion du protestantisme. Cranach qui possède une imprimerie à Wittenberg, publie plusieurs ouvrages de son ami qu’il illustre par des gravures ; il propage les idées de la réforme dans ses toiles, avec l’aide de Luther qui le conseille dans les mises en scène.

 

Le retable de la Stadtkirche de Weimar.

Ce panneau peint est le meilleur exemple de la collaboration des deux amis au service de la Réforme. A droite de l’axe de la croix qui unit le ciel à la terre, on distingue trois grands personnages debout. Jean-Baptiste, Cranach et Luther. Le Baptiste désigne de la main droite le crucifié, toujours représenté chez ce peintre avec un long perizonium flottant. De la gauche il montre l’agneau au pied de la croix, établissant ainsi un lien entre les deux, en référence à Jean 1, 29. Près du Baptiste se tient Cranach, mains jointes, dans l’attitude habituelle des « donateurs », tandis que sur la droite du tableau, au premier plan, Luther en habit de prédicateur, tient la Bible ouverte et indique un verset, peut-être Jean 1,29. Du côté droit du Crucifié sort un jet de sang qui se divise en deux pour se poser sur la tête du réformateur et du peintre.

A gauche de la croix, le Christ ressuscité, drapé dans un manteau rouge flottant, terrasse Satan en forme de dragon, de son pied gauche et le transperce avec une lance, dans une gestuelle réservée habituellement à l’archange Michel ou à saint Georges. Du pied droit il écrase la mort.

En arrière-plan, dans une vallée sombre, des silhouettes de morts surgissent de la terre (Mt 27, 51-52). Sur la crête d’une montagne s’agite une foule, au-dessus d’un campement de tentes. Un ciel parsemé de nuages s’éclaircit de droite à gauche c'est-à-dire du côté d’où jaillit le sang rédempteur. Dans un halo de lumière dorée apparait un petit personnage sur un ample vêtement flottant. C’est le Christ montant vers son Père, thème que l’on retrouve dans les deux versions de Loi et Evangile, autres peintures de Cranach. Au débouché de la vallée, sous le bras du Baptiste, se tient un groupe de personnages à peine ébauchés, peut-être des notables juifs, dont l’un tient un manuscrit (de la torah ?), qui semblent commenter la scène.

 

Interprétation.

Cette peinture rompt avec la tradition iconographique des crucifixions. D’abord elle ne se déroule pas sur le Calvaire mais sur une prairie parsemée de fleurs ; les personnages représentés ne sont pas conventionnels (Marie, Jean, Madeleine, les larrons et les deux soldats) ; en un seul tableau sont évoquées la mort, la résurrection et l’Ascension. En dépit du réalisme de la crucifixion, il ne s’agit pas de contempler le crucifié comme le même Cranach a pu le peindre, de manière dramatique, avec tout le réalisme de la tradition rhénane, sur une toile de la Alte Pinakothek de Munich (Albert de Brandebourg devant la croix). Sur le retable de Weimar, la mort est immédiatement mise en rapport avec la résurrection et l’anéantissement des forces du mal. C’est dont une peinture théologique qui proclame le salut par la grâce. Les hommes ont beau s’agiter à l’arrière-plan, ils sont sauvés gratuitement par la mort du Christ dont le sang, qui jaillit symboliquement sur la tête de Luther et de Cranach, purifie ceux qui ont la foi. Le Baptiste, en désignant Jésus comme « l’Agneau qui enlève le péché du monde » (en référence à Es. 53,6-7) indique que le sacrifice du Christ est unique et complet. Par lui les morts reviennent à la vie et sont entrainés dans son sillage vers le Père.

Cette peinture des dernières années de la vie de Cranach l’Ancien a été terminée par son fils, lui aussi prénommé Lucas, en 1555.

 

André BONNERY